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Mali – analyse : Le succès de Kidal, l’arbre qui cache la forêt ?

Mis à jour le 30 janvier 2024
Publié le 30/01/2024 à 10:28 , , , ,

En dépit de récents succès militaires remportés à Kidal contre les djihadistes, la situation au Mali, sur les plans politique, économique et sécuritaire est en cours de détérioration, comme en ont fait part à 7info plusieurs sources locales et internationales. 

 

La victoire militaire obtenue en novembre 2023 par les Forces armées Maliennes, avec leurs supplétifs de Wagner (le groupe de sécurité Russe, engagé par l’Etat malien pour contribuer à la lutte contre le terrorisme), qui ont repris Kidal aux mouvements djihadistes, a donné un nouveau souffle au régime des colonels. Ceux-ci se prévalent de ce glorieux fait d’armes pour légitimer leur accession au pouvoir (la junte militaire réussit, semble -t-il, là où l’ancienne classe politique a échoué) et pour valider la décision de chasser toutes les forces militaires étrangères du territoire national, qu’elles soient onusiennes ou européennes (dont les forces françaises de l’opération Barkhane).

Sur notre plateau en décembre 2023, la star du reggae, Tiken Jah Fakoly, qui vit à Bamako depuis une vingtaine d’année, relevait l’exploit avec une pointe de fierté : « Ça sera difficile mais si nous gagnons contre le terrorisme, on pourra dire ‘’c’est nous qui l’avons fait seuls ! ’’ ». Une formule qui représente assez bien l’état d’esprit général au Mali.

[émission « Droit dans les yeux », 7info, 22 décembre 2023 https://youtu.be/bC5_khPnIiU?si=rer8f37BYTT6AXD0]

Pourtant, tout n’est pas si rose au pays d’Assimi Goïta. Selon plusieurs sources locales et internationales, les nuages s’accumulent et assombrissent de plus en plus le ciel du Mali.

 

Dissensions politiques et durcissement du régime. 

Sur le plan politique, la junte est confrontée à des rivalités internes entre colonels. En particulier entre Assimi Goïta, le président de la Transition, et Sadio Camara, le ministre de la défense. En l’absence, jusque-là, de pression véritable de la CEDEAO, le régime estime qu’il est urgent d’attendre encore avant d’organiser des élections générales, sans que cela ne soulève de réaction significative dans la population, si ce n’est une vague indifférence.

Car il n’est pas bon, dans le Mali post-putsch, de contester le régime ou l’action des militaires au pouvoir. Même si on est religieux ou journaliste. Toute forme de contestation est immédiatement réprimée. Les leaders des partis d’opposition sont en exil. Les colonels tiennent fermement l’ensemble des rouages institutionnels et maîtrisent la gestion des affaires du pays. La mise en œuvre de la nouvelle constitution en 2023 n’a fait que conforter leur situation. L’armée tient l’Etat et ça se voit : 30% du budget du Mali est désormais affecté à l’institution militaire.

 

Coupures d’électricité et dégradation des conditions de vie des maliens  

Sur le plan économique et social, la situation n’est guère plus brillante. « On nous coupe l’électricité six à huit heures par jour » nous dit Fanta (1), jointe à Bamako pas 7info. « Si ce n’est pas la journée, c’est la nuit. Entre les différents quartiers, l’électricité, c’est chacun son tour. C’est très pénible. Les gens râlent de plus en plus ». Tiken Jah, lui, trouve que « Ce sont des sacrifices qu’il faut consentir, si au bout, il y a la victoire ».

Par ailleurs, même si les relations commerciales avec les pays voisins ont repris, les produits manquent et l’inflation a rongé le pouvoir d’achat des maliens qui n’osent exprimer ouvertement leur désarroi, nous dit Fanta.

 

Les civils, victimes de la lutte anti-terroriste

Concernant la sécurité, les spécialistes des mouvements djihadistes relèvent l’augmentation du niveau de violences depuis le putsch, même si l’armée malienne continue de se déployer vers le Nord.

La prise de Kidal a porté un coup temporaire aux groupes terroristes mais ne jugule en rien leur activité dans le centre du pays ni leur progression vers le sud.

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Invité le 3 novembre 2023 sur le plateau 7info, Lassina Diarra, Directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT), confirme la dégradation de la situation sécuritaire au Mali. « La meilleure réponse contre le terrorisme, c’est le meilleur fonctionnement de l’État (…). Les coups d’Etats amènent une désinstitutionalisation de l’État. Le double coup d’Etat au Mali a permis aux groupes terroristes de gagner du terrain (…). Le départ des soldats français était demandé depuis 2017 par Amadou Koufa, le numéro 2 du GSIM. Il savait que la présence des soldats français le gênait. Conséquence, le centre du Mali, c’est embrasé à nouveau et, au nord du Mali, la rébellion touarègue s’est alliée aux terroristes. Au sud du pays, le gouvernement lutte avec Wagner à ses côtés. Clairement, nous sommes revenus à la situation de 2012 qui avait nécessité une coopération internationale ».

[Lassina Diarra dans l’émission « Droit dans les yeux », sur 7info, le 3 novembre 2023 : https://youtu.be/0NmrROZPY4A]

Le départ des forces onusiennes de la Minusma, le 31 décembre 2023, après celui de la force française Barkhane, le 15 août 2022, a bien créé un vide sécuritaire que l’armée malienne et Wagner peinent à combler. Une situation, alarmante à l’intérieur du pays, qu’à Bamako on perçoit encore mal.

Les populations civiles sont les premières victimes des groupes terroristes rivaux, l’EIGS (Etat Islamique dans le Grand Sahara) et le GSIM (Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans – coalition de quatre groupes islamistes affiliés à Al Qaïda) qui ont fait des centaines de morts, selon les observateurs.

Mais les civils courent aussi d’autres dangers. L’organisation de défense des droits humains, Human Rights Watch, a dénoncé, dans son « Rapport mondial 2024 », des exactions commises par les forces maliennes avec le concours du groupe Wagner, fort de 2 000 hommes déployés essentiellement autour de Mopti au Centre (et plus récemment au Nord, à Gao et Kidal). Tous deux sont « impliquées dans des centaines de meurtres illégaux de civils, pour la plupart lors d’opérations de lutte contre le terrorisme de grande ampleur menées dans le centre du Mali ». Est pointée, exemple parmi d’autres décrits dans le rapport, l’exécution sommaire de 500 civils lors d’une opération militaire à Moura, dans le centre du Mali, en mars 2022 (rapport des Nations Unies du 12 mai 2023), ce que conteste la junte.

De plus, s’appuyant sur des estimations du HCR (l’agence des Nations-Unies pour les réfugiés), l’Organisation Non Gouvernementale estime que « la violence a exacerbé une crise humanitaire déjà dramatique » dans laquelle « 8, 8 millions de personnes ont besoin d’aide » et où « 575 000 maliens ont été déplacés, dont 375 000 à l’intérieur du pays et 205.000 à l’extérieur ». Un nombre qui a plus que doublé en deux ans.

[Rapport Human Rights Watch, « Rapport mondial 2024, le Mali en 2023 » https://www.hrw.org/fr/world-report/2024/country-chapters/mali ].

À court terme, le renforcement de l’armée malienne grâce aux acquisitions de matériels (drones turcs, blindés émiriens) et à l’appui de Wagner rendent peu probable un effondrement militaire face à la menace djihadiste. Mais les pertes dans les rangs maliens sont lourdes.  La pression des groupes terroristes, sous l’impulsion du chef du GSIM, Iyad Ag Ghali, obligera -t- elle le pouvoir de Bamako à négocier ?

 

Le cavalier seul de la junte malienne 

Difficile de prévoir, à ce jour, comment réagira la junte malienne pour garantir sa survie à la tête de l’Etat. Sa brutale décision, ce 28 janvier 2024, de quitter la CEDEAO, annoncée par un simple communiqué télévisé, et manifestement coordonnée avec ses « alter ego » burkinabé et nigérien, donne une première indication. Celle d’un « jusqu’au-boutisme » qui lui permettra de contourner toutes les règles imposées par l’organisation régionale et les délais de « retour à l’ordre constitutionnel légal » qu’elle avait négocié avec les putschistes maliens.

Entre les dissensions internes, l’affaiblissement des conditions de vie des maliens et la dégradation sécuritaire face à la poussée islamiste, la voie reste étroite pour le pouvoir de Bamako.

Philippe Di Nacera

(1) Nom d’emprunt pour garantir l’anonymat du témoin.

 

 

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