Nous assistons à la nouvelle bataille d’Alamo. L’ancienne avait déjà mis aux prises les Américains et les Mexicains. C’est un grand film que j’ai vu dans mon adolescence, une authentique contribution culturelle. En effet, c’est aussi le rôle de la culture que de produire des mythes qui expliquent et légitiment les actions des hommes. Du point de vue politique donc, ce film permet de comprendre Alamo 2 qui oppose aujourd’hui, sous nos yeux incrédules, D. J. Trump l’Américain et Peña Nieto, le Mexicain.
Pour que Trump parle de mur, il a fallu que le nommé Polk, président américain au milieu des années 1800, arrachât au Mexique la Californie, l’Oregon, le Texas et quelques morceaux d’autres territoires. Cette histoire peut éclairer le présent. Nous qui ne sommes ni Américains ni Mexicains, devons savoir qu’après le Mexique, les regards américains se sont tournés vers les Philippines pour une conquête bienveillante (on a parlé d’ « assimilation bienveillante »), puis vers d’autres horizons. Les tortures employées en Irak avaient déjà fait des victimes aux Philippines, selon des témoignages de soldats américains. Comparaison n’est pas raison mais on a parfois raison de comparer. Cela peut se faire ici à plusieurs niveaux.
Il y eut tout d’abord l’expression de grands sentiments ou idéaux. Souvenons-nous de la « Destinée manifeste » qui sert de fondement philosophique et qui légitime les ambitions des dirigeants américains suivis par leur peuple, en toute liberté ou par manipulation. Quand la Providence et/ou Dieu ordonnent, la conquête est un ordre et la rédemption assurée !
L’Amérique est donc appelée par le destin à avoir un destin extraordinaire sinon à dominer le monde. Ne soyez pas surpris par la tautologie ou la circularité du discours. On la retrouve dans la formule du Président Lyndon B. Johnson à propos de la guerre du Vietnam : «Nous nous battons parce que nous devons nous battre ». C’est une manifestation de la destinée manifeste ! On doit se sauver et sauver le monde. Avec lui ou sans lui ou même contre lui, on doit le sauver !
Le destin est comme l’horizon qui vient servir de frontière. Il recule à mesure qu’on avance avec conviction et puissance. On fait ainsi se rétrécir les autres pendant qu’on se déploie. Il en est ainsi tout simplement parce que destin et territoire sont liés. L’un se réalise dans l’espace fourni par l’autre. Grandeur de soi et affaiblissement des autres paraissent aussi liés. Asymétrie structurelle entre centre et périphérie ! Sans être R. Prebisch ni A. Gunder Frank ni Samir Amin, nous pouvons le voir et le comprendre.
La version actualisée de DJ Trump parle de rendre à l’Amérique sa « grandeur », de la rendre grande de nouveau. Il est rusé. Sinon, comment aurait-il réussi en affaires ? Il n’a pas besoin de dire que la grandeur est leur destin. Il lui suffit qu’elle soit un passé menacé de trépasser et à rétablir. Après tout, le destin, c’est le passé qui remonte le plus loin possible dans la mémoire et qui ambitionne de se prolonger dans le futur. Même si ses grands-parents étaient allemands, DJ Trump est l’héritier de la « Destinée manifeste ».
La version de Trump est comme le négatif dans la photographie. Il n’envisage de conquérir personne et s’accommoderait bien d’un Poutine. Mais, il parle de libérer et protéger le territoire et le marché contre l’invasion des immigrants illégaux, contre l’exportation des emplois. Le danger, c’est les immigrés mexicains et le Mexique !
Pour mobiliser ses compatriotes et obtenir du Congrès une déclaration de guerre, Polk a menti. Il a déclaré que des soldats américains avaient été tués sur le sol américain, ce qui était faux. La guerre qui a suivi a permis de vaincre les forces mexicaines et d’arriver même dans la capitale Mexico. Les Américains furent même tentés, à un moment donné, d’annexer la totalité du pays. Cela ne s’est pas produit à cause de la résistance des Mexicains, les ascendants d’Emilio Zapata et de Pancho Villa. Les Mexicains veulent que Peña Nieto suive l’exemple de ces derniers.
L’idéologie est une forme de mensonge utile à justifier l’action. Hier, on disait que les Mexicains étaient incapables de gérer l’indépendance obtenu de haute lutte contre l’Espagne. Avec leurs guerres incessantes, ils ne la méritaient pas. Aujourd’hui, les Mexicains sont « bad people », englués dans la drogue et qui empoisonnent la gentille jeunesse américaine. Il ne serait pas surprenant qu’ils produisent un excès de bruit et d’odeur ! Ciudad Juarez, avec ses cartels de drogue, est la nouvelle Sodome et Gomorrhe !
Parce que le Mexique était ingouvernable, il devait le payer. Parce que les Mexicains sont des envahisseurs, ils doivent payer le mur. C’est plus honorable que de faire payer ses citoyens patrouilleurs des frontières par un autre Etat. Nous Ivoiriens connaissons le « principe du kédjénou ». Il s’agit de faire cuir la viande ou tout autre sujet/objet avec son propre jus ! Il ne reste plus qu’à faire payer le retour des immigrés illégaux par leurs pays d’origine, comme si ceux-ci les avaient envoyés en mission.
Alamo 1 a consisté à s’opposer à la conquête barbare ou à l‘invasion sauvage des soldats de Santa Anna. Ce général ne pouvait qu’être la figure de la dictature, d’une violence sans fondement éthique. Malgré son nom, il incarnait l’anti-destinée manifeste, lui et ses compatriotes étant destinés à être vaincus, dominés et exploités.
D’ailleurs, on nous apprend que pendant la guerre du Mexique la maladie, probablement leur « djèkouadjo » (malaria) à eux, a tué plus de soldats américains que les combattants mexicains. De deux choses l’une : la nature se bat contre la destinée qui est une fabrication historique ou elle vient confirmer l’absence de civilisation chez les Mexicains.
En face du diabolique Santa Anna, il y avait d’authentiques héros comme Davy Crockett et d’autres incarnés par le grand acteur John Wayne, bon conservateur comme DJ Trump. Ils ont été vaincus. Mais par une horde barbare qui les a submergés. C’était eux les « bravetchès » que le film nous invitait insidieusement à admirer et soutenir. Il en va de même dans tous les films évoquant le Rio Grande ou le Rio Bravo. On peut voir et dire que Davy Crockett et sa toque viennent à être remplacés par DJ Trump et sa touffe jaune.
Sans cette histoire plus que séculaire, on ne peut comprendre le derby guerrier qui oppose, avec une tension sans cesse renouvelée, les sportifs américains et mexicains. Quand vous verrez Gabriel Marquez, ancien stoppeur de Barcelone, tacler sévèrement Clint Dempsey, ancien de Tottenham, remontez à la bataille d’Alamo1 pour comprendre.
Quelle différence voyez-vous entre chasser gentiment et chasser avec des troupes militaires ? Que ce soit des milices, gardes nationales ou des civiles agissant à visage découvert au nom de la « destinée manifeste », l’histoire se poursuivra. A plusieurs reprises, les Américains ont tordu le bras aux Mexicains et même aux Espagnols ! Chasser, c’est chasser, disent les Ivoiriens !
Rex Tillerson, le nouveau Secrétaire d’Etat, veut rassurer. Il voyage en compagnie de John Kelly dont le nom rappelle celui de John Kerry pour convaincre qu’il s’agit effectivement de diplomatie. Mais, n’est-ce pas le rôle de la diplomatie que de couvrir ce qui arrivé ou de dissimuler ce qui va arriver ? Rex signifie roi et ceux qui ont vu le film « Jurassic Park » se souviennent de tyrannosaure Rex dont la modestie n’enlève rien à la puissance de ses mâchoires.
Alamo, Al-Bab, Mossoul, Alep, Gao, Mogadiscio, partout où on se bat, quelle explication nous donne-t-on ? On se bat parce qu’on doit se battre ! Partout où l’on parle de liberté, on parle de la liberté de qui par rapport à qui ?
Cette histoire se poursuivra d’autant plus longtemps qu’aujourd’hui, on a inventé de nouveaux jeux tels que Grepolis, Forge of Empire ou Mobile Strike pour jouer à la guerre. On pourra ainsi asseoir dans la conscience des jeunes l’idée que la guerre est un jeu auquel l’homme est obligé de jouer. Nous nous battrons parce que nous devrons nous battre ! Les soldats de plomb sont dépassés mais la même histoire se poursuit. DJ Trump est le héros de son temps.
Par Prof SERY Bailly