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Politique de la chaise / Sery Bailly

Mis à jour le 3 décembre 2018
Publié le 30/11/2016 à 1:28

Dans la crise africaine et ivoirienne, la chaise est devenue un symbole important dans le débat sur la nature de la participation démocratique. Cela dans l’expression « politique de la chaise vide ». Elle pose le problème de l’efficacité politique mais en même temps celui du sens humain. Nous nous trouvons à la fois dans les mots du jeu politique et aussi dans une politique de jeux de mots. Dans un cas, on se prend au sérieux quand dans l’autre, on se déprend du sérieux. Elle réfère à ceux qui veulent rester debout mais dit aussi quelque chose sur ceux qui sont assis.

Que savons-nous de l’histoire de l’expression « politique de la chaise vide » ? C’est Staline qui l’aurait pour la première fois employée, suivi par le journal La Pravda qui en a rendu compte avant qu’elle ne se répande dans le monde entier. C’était à l’occasion de la crise de Corée, au moment où l’ONU devait prendre une résolution pour intervenir dans le conflit qui opposait les deux parties de cette péninsule, ainsi que les deux puissances issues de la seconde guerre mondiale. Il n’a assurément pas inventé la pratique mais au moins l’expression.

De Gaulle va recourir à cette pratique lors d’une crise au sein de la CEE. Dans la bataille qui opposait les tenants du supranationalisme et ceux de « l’Europe des patries », la France n’a pas occupé son siège au Conseil des ministres pendant près de six mois.

Qu’en est-il des résultats, puisque nous parlons d’efficacité ? Staline n’a pas pensé à l’utilisation du chapitre 7 que son absence ne pouvait empêcher. Il en a sans doute tiré la leçon qu’il vaut mieux être présent pour recourir à  son veto. En ce qui les concerne, les Européens ont trouvé un compromis entre unanimisme et règle majoritaire afin de mieux se concerter sur leur avenir, sans veto mais sans perte d’indépendance nationale.

Mais la politique doit-elle calculer son efficacité comme le font les membres du conseil d’administration d’une entreprise capitaliste ? Celle-ci n’a pour ambition que de compter ses bénéfices, quels qu’en soient le pourcentage et le service à la communauté. Les Golden boys peuvent gagner dans la pure spéculation avant de s’effondrer et se laisser remettre à flot avec l’argent du contribuable.
Cependant, quand on mène une action, on doit s’interroger sur son résultat. Commençons d’abord par le caractère trompeur de l’expression. Elle suppose qu’on a une chaise qu’on veut laisser vide. C’est ce qui s’est passé avec Staline et avec De Gaulle. Ils avaient des sièges, à l’ONU comme à la CEE, qu’ils ont refusé d’occuper. Mais ici, une chaise à conquérir dans le jeu électoral est-elle déjà obtenue ? Ils sont bien optimistes ceux qui critiquent la fameuse politique de la chaise vide alors qu’ils n’ont encore rien obtenu comme strapontin !

La question posée devient ainsi celle du découpage électoral d’abord. Tous les citoyens ivoiriens ont-ils le même poids dans la répartition des sièges du Parlement ? J’attends d’en être convaincu. Mes doutes pourraient ne pas être fondés. Ensuite, le partage à l’intérieur des partis fait des vagues certainement parce qu’il y a problème. Au lieu de convaincre de l’équité du partage, on croit pouvoir tenir les citoyens par une disposition réglementaire (engagement) ou par la punition (limogeage, exclusion, suspension). Je le comprends bien dans une logique partisane. Force est de reconnaitre qu’en politique, en restauration et en économie, chacun veut renforcer sa puissance, assurer sa sécurité alimentaire et accroître ses profits.

Je comprends alors mieux le débat qui oppose les tenants de l’efficacité (facteur de stabilité) à ceux de la proportionnelle (facteur d’incertitude). L’efficacité à un seul tour permet cependant qu’une majorité de citoyens n’aient pas de chaises, toutes revenant à ceux qui arrivent en tête dans chaque circonscription. L’opinion des « caravaniers » est simple et claire : tout cela n’est que bruit au mieux, et aboiements au pire.

Seul le sens humain pourrait s’opposer légitimement à celui qui est politique. Imaginez qu’un étranger, au sens africain de visiteur, arrive. La première chose qu’on fait, c’est de lui donner à asseoir et lui offrir à boire avant de lui demander les nouvelles. Mais est-ce dans toutes les cultures qu’on demande les nouvelles ou donne à asseoir ? En effet, il y a des coins où on vous dit « Qu’est-ce qu’il y a pour vous ? » ou plus gentiment « Que puis-je faire pour vous ? » ou de façon désagréable « Rien à voir circulez !».

En Afrique, quand un visiteur refuse de s’asseoir, cela signifie quoi ? Cela a-t-il un sens ou y est-on insensible ? Si c’est une forme de protestation, les « caravaniers » s’en moquent. C’est comme les grévistes de la faim qu’on dédaigne en disant qu’ils la font parce qu’ils ont à manger. C’est enfin comme Nanan qui se gaussait des marcheurs qui voulaient user leurs chaussures. Nous voyons bien qu’une langue ne fonctionne que si les interlocuteurs la comprennent.

On voit que cette affaire de chaise indique une relation sadomasochiste. Les uns veulent faire souffrir ceux qu’ils mettent au piquet, quand les autres sont prêts à supporter la souffrance. Ces derniers se font des illusions sur la charité de leurs adversaires et ceux-ci se trompent sur leur capacité de résistance.

Le sens humain de la chaise apparaît dans le lien entre hospitalité, hospice et hôpital, mots qui renvoient à la faiblesse. La raison du plus faible (l’étranger ou le malade ou le minoritaire) dont parle le philosophe Michel Serres est peut-être la plus humaine. Mais elle est la moins contraignante. Tout le monde s’accorde à dire que c’est la raison du plus fort, celui qui a le plus de chaises, qui est la meilleure, c’est-à-dire qui rapporte le plus.

Notre culture considère comme humiliation suprême le fait de retirer la chaise sur laquelle quelqu’un est assis. Littéralement « On a enlevé la chaise sous lui ». Le déshonneur est d’autant plus grand qu’il s’agit d’un événement qui rassemble une foule importante. C’est comme si on lui mettait littéralement les fesses au sol !
Les notables qui sont assis, et qui ont donc une chaise, sont sans doute avantagés. Mais ceux qui sont debout, les jeunes en général, les surplombent pour mieux voir leur jeu et mieux entendre leurs propos. Ils peuvent aussi décider de se mettre en marche, ce que les « assis » ne peuvent faire qu’en chaise roulante ou en chaise à porteurs. C’est la raison pour laquelle me plait mieux le dynamisme de ceux qui sont debout, même si leur posture peut inspirer de la frayeur, que le statisme des gens confortablement assis.
Le sens spirituel paraît encore moins contraignant que ce sens humain. J’ai découvert sans surprise le récit de ce sceptique qui a décidé de prier à côté d’une chaise vide censée être occupée par Jésus et donc par une force invisible. Elle était donc à la fois vide et occupée ! Encore fallait-il le sentir ! Clint Eastwood, grand acteur enraciné à droite, aurait parlé, lors de la convention républicaine de 2012, à une chaise vide représentant Obama. La communication n’est donc pas forcément rompue pour raison de chaise vidée.
Par ailleurs les Akan, toutes tendances confondues, savent qu’on ne s’assoie pas sur toutes les chaises. Celles qui sont sacrées et censées incarner l’âme du peuple ne sauraient souffrir d’être profanées par des postérieurs humains. Elles valent beaucoup mieux que les trônes qui sont passagers par définition. Ne me demandez pas ce qu’il est advenu de celui de Bokassa ! Il semble que c’est après le règne que, selon son bilan, les Akan offrent ou refusent le Bia à leurs rois.
Terminons par trois références. D’abord De Gaulle : « Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant (…), mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien » (14/12/65). Ensuite un proverbe africain : « Il ne faut pas donner raison aux fesses parce qu’on s’assoie dessus ». La chaise et le divan sont différents. Celui-ci permet à tout le corps de se reposer. Il ne saurait y avoir de politique du divan vide car tous les acteurs sollicitent des gens pour les écouter. Enfin V. Hugo : « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn ». Qu’il soit dans la tombe ou dans l’urne, Caïn s’en « gnagne », peu lui importe qu’Abel soit son frère !

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