Une semaine après l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire, comment peut-on analyser le scrutin du 31 octobre et les journées, parfois confuses, qui ont suivi?
1- Le scrutin a bien eu lieu et un résultat provisoire a été prononcé.
Ceux qui ont effrayé les Ivoiriens pendant des semaines à coup de « il n’y aura pas d’élection le 31 octobre » en sont pour leurs frais. Avec l’humour qu’on leur connaît, des Ivoiriens réclament, à ceux qui les ont indirectement incités à faire des réserves de vivres, le remboursement de leurs achats.
La Commission électorale indépendante a prononcé la victoire -encore provisoire, en attendant que le Conseil Constitutionnel se prononce- d’Alassane Ouattara avec plus de 94% des suffrages exprimés. Un score qui ne peut étonner alors que les principaux candidats d’opposition ont boycotté le scrutin.
2- Beaucoup sont les Ivoiriens qui, par conviction, par empêchement ou par peur, ne se sont pas déplacés pour voter. Mais ceux qui ont décidé de remplir leur devoir de citoyen, par égale conviction ou pour braver les mots d’ordre de boycott de l’opposition, ont pu en général le faire sans entrave. Même si des disparités de participation au vote ont été relevées par tous les observateurs, le taux de participation officiel de 54%, qui ne tient compte que des bureaux de vote qui ont effectivement pu ouvrir, est honorable. L’opposition parle, elle, de moins de 10% de participation.
3- Le nombre d’incidents autour de ce scrutin du 31 octobre, cela a aussi été relevé par l’ensemble des missions d’observation de l’élection présidentielle, n’a pas été aussi important qu’on pouvait le craindre. La CEI a relevé que 20% environ des bureaux de vote n’ont pu ouvrir. Mais les dispositifs de sécurité largement déployés sur tout le territoire ont permis de limiter les violences directes entre partisans du pouvoir et ceux de l’opposition. Quel que soit le nombre de victimes enregistrées depuis le 31 octobre, et même avant, durant la campagne, il reste trop élevé.
4- Les Ivoiriens sortent à nouveau très divisés de ce scrutin. Les plaies de 2000, 2002, comme celles de 2010, ne sont toujours pas cicatrisées. Les haines recuites entre certains hommes, entre certaines communautés et l’hideux concept d’ivoirité ont réapparu. Si pendant dix ans les Ivoiriens ont donné l’impression de se ressouder autour du projet d’émergence de leur pays, il a fallu cette élection controversée pour que resurgissent les pires fractures. Il a plu des insultes, voire des appels au meurtre, durant cette drôle de campagne qui a vu plusieurs convois officiels de ministres se faire tirer dessus. La Côte d’Ivoire est passée tout près de la catastrophe.
5- L’opposition a voulu forcer sa chance, elle a échoué. La création, au lendemain de l’élection d’un « Comité National de Transition » qui devait accoucher d’un gouvernement de transition, a constitué pour l’ex-Président Henri Konan Bedié et son équipe, un pari risqué. Ce coup de force juridique ne pouvait en aucune marnière prospérer pour deux raisons essentielles. La première, une justification juridiquement audacieuse : affirmant contre l’évidence qu’’ « il n’y a pas eu d’élection le 31 octobre », l’opposition a décrété une « carence du pouvoir » qui devait déboucher sur « une transition ». Quel pouvoir dans le monde accepterait une telle démarche ? La qualifiant de séditieuse, il a saisi le procureur de la République qui s’est empressé de faire arrêter ou mettre sous résidence surveillée les leaders de l’opposition, avant même l’annonce du fameux « gouvernement de transition ». Fort opportunément pour la paix civile, le Président Bedié n’a pas été arrêté.
6- La seconde raison qui ne donnait aucune chance de réussite à l’idée de « transition », c’est l’absence de reconnaissance de la communauté internationale. Sur ce terrain, l’opposition a fait montre d’une étrange naïveté, croyant créer une situation de fait que la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis, l’Union européenne et l’ONU, la CEDEAO et l’Union africaine, reconnaitraient. C’est tout le contraire qui s’est produit. Et cela ne peut constituer une surprise depuis que la mission de CEDEAO, la semaine précédant l’élection, a appelé les candidats de l’opposition à participer au scrutin et à abandonner le mot d’ordre de désobéissance civile. Tous ces États et institutions internationales ont tué dans l’œuf toute idée de transition, reconnaissant la validité du scrutin (sans omettre les problèmes constatés sur le terrain), appelant les chefs de l’opposition à respecter les institutions, et tous les acteurs politiques au dialogue. La visite des ambassadeurs occidentaux au président Bedié à son domicile, est venue entériner « yeux dans les yeux », pourrait-on dire, ces exigences.
7- Alassane Ouattara se retrouve face à la lourde responsabilité de renouer les fils du dialogue. Il devra pour cela déployer des trésors d’imagination et de séduction, trouver les mots et les gestes qui le permettent. Il pourra en cela s’appuyer sur deux personnalités qui, à la faveur de cette crise, se sont détachées. L’une, dans la majorité, est le Premier ministre Hamed Bakayoko, qui est apparu comme celui vers qui les regards se sont tournés. Son sans-faute à la Primature confirme son envergure et l’appel qu’il a reçu dans la semaine de l’ancien Président Laurent Gbagbo, l’a mis en évidence. Plus surprenante est la seconde personnalité : Laurent Gbagbo, justement. En deux interventions décisives, il a émergé de cette crise pour se placer au-dessus de la mêlée, appelant au dialogue, allant jusqu’à désavouer l’idée de la transition. Il apparaît désormais, on n’est plus à un paradoxe près, comme un allié objectif du Président Ouattara pour apaiser la situation, retrouver les voies du dialogue et préparer le terrain à la fameuse « nouvelle génération ». Gageons que le retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire sera rapidement un sujet sur la table.
8- Le Conseil Constitutionnel devrait, lundi prochain, désigner Alassane Ouattara Président de la Côte d’Ivoire. Il poursuivra son travail à la tête de l’État ivoirien. Ce vendredi, les embouteillages ont retrouvé droit de cité à Abidjan. La vie reprend son cours, les Ivoiriens sont ressortis de chez yeux. C’est le signe le plus tangible que cette crise touche à sa fin. Mais le chemin de ce nouveau mandat pourrait s’avérer plus difficile que les précédents pour le Président.
Philippe Di Nacera
7info