Interrogatoire public ou réponses à huis clos, les témoins dis « à charge » se succèdent à la barre de la Cour Pénale Internationale (CPI) dans l’affaire Madame le Procureur C/ Laurent Gbagbo. Des récits et déclarations qui sont supposés être déterminants pour l’accusation se retrouvent profitables à la défense. Comment le choix des témoins s’est-il opéré ? Politikafrique.info s’y est intéressé.
Les déclarations des officiers supérieurs de l’armée ivoirienne à la CPI suscitent de vives réactions du côté d’Abidjan. Certains vont jusqu’à ironiser parlant de « témoins amnésiques ». Des dépositions loin d’être celles d’un témoin à charge selon ce cadre du RDR qui estime que « s’il y avait eu une bonne préparation du côté du gouvernement et un bon conditionnement des témoins à charge, on n’aurait pas assisté à ce que nous voyons en ce moment. Je suppose que si on prend un témoin pour aller charger Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, c’est pour aider la cour à démontrer par A + B que ces co-accusés sont coupables de crimes contre l’humanité. Mais chemin faisant le témoin face à la cour tient un autre discours alors il y a problème» estime Mamadou Traoré.
Eugène Kouadio, lui, jette la pierre à l’accusation. « Le bureau du procureur est aujourd’hui dans les difficultés car les investigations n’ont pas été bien menées au départ. Tout s’est fait dans la précipitation qui a conduit à l’amateurisme, d’où les témoins à charge qui deviennent témoins à décharge. Sur quelles bases ? Est-ce de vrais témoins? Ont-ils peur de représailles?» s’interroge Le Président du Mouvement Guillaume Kigbafory SORO.
« Témoins à charge ou à décharge c’est au tribunal d’en juger après les interrogatoires » tient à clarifier d’entrée Dr Pierre Dogbo, professeur de droit. Pour cet avocat à la cour d’Abidjan, il n’y a rien de surprenant car ces officiers supérieurs de l’armée sont parties prenantes dans la crise en Côte d’Ivoire.
« A un moment ou à un autre ces hauts gradés ont eu à assumer des responsabilités. La preuve, dans leur démarche, ils ne sont pas au tribunal pour dire que Gbagbo a tort ou que Alassane a raison et vice-versa. Ils disent leur part de vérité et c’est au tribunal d’en tirer les conséquences » indique Dr Pierre Dogbo.
Pour lui, l’Etat de côte d’ivoire a sous-estimé le sens de l’honneur des officiers supérieurs de l’armée ivoirienne. « L’Etat s’est peut-être précipité dans le choix de leurs témoins et a fait un faux calcul en croyant que tous les officiers qui ont travaillé avec Laurent Gbagbo allaient du jour au lendemain l’enfoncer alors que c’est oublier la culture et l’éducation d’un officier. Un officier supérieur c’est d’abord une question d’honneur quand il se présente devant les instances » explique-t-il.
Mais au ministère de la Justice, on se veut ferme, « L’Etat ivoirien, n’étant pas partie dans ce procès, n’intervient pas dans le choix des témoins à charge ». « Lors des enquêtes diligentées sur le terrain, aux fins d’engager la procédure, les enquêteurs ont eu à rencontrer des témoins. C’est donc sur la base de ces enquêtes que le Procureur de la CPI sélectionne les témoins à charge» nous informe la cellule communication dudit ministère.
Mais, pour Maître Soro, avocat à la cour, deux options se présentes. « La saisie de la CPI ayant été faite par le renvoi de la situation par l’Etat ivoirien, il doit fournir certains éléments concernant les personnes identifiées à poursuivre. Et également les personnes victimes en ce sens que ces dernières sont aussi des témoins. Et tout autre sachant. Et selon les statuts de la CPI, l’Etat a une obligation de coopération. Deuxième option, l’État a la possibilité de prendre ses initiatives suivant l’article 14 des dispositions de la CPI. Dans ce cas, l’État est obligé d’apporter dans son dossier tous les éléments concernant les personnes à entendre » explique Maître Soro.
« Mais dans le cas spécifique du procès de Laurent Gbagbo, je ne crois pas que les témoins comme les grands chefs de commandement militaire soient des témoins à charge. En dehors des généraux Kassaraté et Mangou, qui sont d’actuels ambassadeurs donc nommés par l’exécutif, les autres comme le général Guiai Bi Poin, Sam l’africain ont été ciblés par la CPI. Mais l’État a coopéré pour qu’ils soient entendus. A mon avis, tous les témoins qui se suivent à ce jour à la barre sont des équilibristes» ajoute-il.
« En tout état de cause, il faut mettre le passé derrière et avoir le courage de reconnaître qu’on a tous été coupables et en même temps victimes. Ainsi, avec le même courage, il faut demander pardon et il faut tout pardonner pour la vraie réconciliation dont a besoin la Côte d’Ivoire aujourd’hui pour consolider ses acquis en termes de développement» dira Eugène Kouadio.
Salimata DIA
Source: Rédaction Politikafrique.info