Il comparaît pour une vingtaine de chefs d’accusation aux assises du tribunal du Plateau à Abidjan. Amadé Ouérémi dont le nom a été associé aux massacres de Duékoué qui ont fait plus de 800 morts est jugé depuis le mercredi 24 mars dernier. 7info s’est rendu au quartier Carrefour à Duékoué et dans le village de Bagohouo pour avoir l’avis des populations sur le procès.
« Je suis ici depuis 1993. C’est avec beaucoup de miracles que j’ai pu survivre aux affres des différentes crises qui ont eu lieu à Duékoué et en particulier, celle de l’élection présidentielle de 2010. Nous avons perdu beaucoup de parents dans cette crise postélectorale. Le lundi 28 mars 2011, alors que nous étions entre amis, nous avons vu des chasseurs traditionnels ‘’dozos’’ et des hommes d’Amadé Ouérémi nous envahir. Sans autre forme de procès, ils tuaient et pillaient tout sur leur passage. Des enfants innocents ont été couchés sur l’espace de l’église céleste et mitraillés comme de vulgaires voleurs. Des parents ont été enlevés, attachés à des caféiers et abattus ici. La forêt proche du quartier était pleine de cadavres. À nos corps défendant, nous partions dans cette broussaille pour rechercher les corps des parents qu’on ne retrouvait pas. C’était pénible ce que nous avons vécu avec Amadé Ouérémi et tous ceux qui nous ont envahis ce jour-là », se souvient Joël Koho, habitant du quartier ‘’Carrefour’’.
« Amadé Ouérémi n’a pas agi seul »
Difficile de revenir sur les douloureux moments vécus en mars 2011. Les yeux larmoyants, Georges Doué en parle brièvement. « C’est un peu triste ce procès. Amadé Ouérémi n’a pas agi seul. Nous savons qu’il a reçu l’ordre d’exécuter la population. Comme l’un de ces tueurs a été pris, les autres aussi tôt ou tard répondront de leurs actes. Nous avons trop souffert dans la main d’Amadé Ouérémi. Comment des personnes qui n’ont rien fait ont été froidement abattues. Des vieux, des enfants et des femmes qui fuyaient pour la plupart les combats, se sont fait tirer dessus à bout portant. Pendant cette crise meurtrière, nos bourreaux venaient avec des véhicules de type Kia pour vider nos maisons et après ils y mettaient le feu. C’était des attaques bien préparées, vu la manière dont les choses étaient menées. De Bagohouo jusqu’au quartier carrefour, c’était l’horreur », se remémore Georges Doué, un autre habitant du quartier ‘’Carrefour’’.
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Notre interlocuteur salue toutefois l’effort du gouvernement qui a pu mettre la main sur Amadé Ouérémi dans le but de punir l’auteur des massacres, sans toutefois manquer de se lever contre un dénommé Diaby qui selon lui pour des besoins pécuniaires se fait passer pour le responsable des victimes de Duékoué
« Cela fait déjà 10 ans que les faits ont eu lieu. Personne n’a pensé que le mécanicien transformé en tueur pouvait être jugé. Certains disaient que les autorités vu l’étroitesse des liens avec le Burkina Faso, avaient fait partir Amadé Ouérémi dans son pays d’origine. Cela faisait mal. Mais aujourd’hui, la réalité est toute autre. Amadé est en train d’être jugé. C’est vraiment soulageant, même si nous ne pouvons pas oublier totalement. Cela apaise tout de même nos cœurs qui continuent de saigner depuis toutes ces années. C’est bien qu’il soit arrêté et jugé. Nous suivons plus ou moins le procès. Mais il y a une grosse défaillance à relever. Comment un Diaby peut parler au nom des victimes des massacres de Duékoué ? C’est inadmissible, tout cela. Des gens qui n’ont jamais été victimes encore moins été témoin d’une quelconque exaction viennent parler au nom des personnes meurtries à jamais. J’ai des pincements au cœur quand je vois et entends tout cela. Il faut revoir tout cela. Des gens qui se sucrent sur le dos des victimes, il faut revoir tout cela. Il faut interroger les natifs de ce quartier où des exactions ont été commises pour connaître réellement les besoins et les attentes des populations victimes. On ne peut pas se lever pour être responsable des victimes quand on n’a été victime de rien », grogne-t-il.
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« Même la prison à perpétuité ne pourra faire revenir nos parents tués »
Selon lui, cette crise a un impact négatif sur la vie des rescapés. « Si tout a été détruit ici, nous vivons tout de même. On a commencé à se refaire grâce à des ONG qui ont apporté assistance en son temps. Mais le hic aujourd’hui, c’est qu’il n’y a plus de terres cultivables pour les vivriers. Les campements abandonnés hier ont été colonisés et toutes les terres arables sont occupées par des plantations de cacaoyers. Les villages qui autrefois ravitaillaient nos villes sont aujourd’hui approvisionnés par la ville. Les légumes, le riz et tout ce qui est denrées alimentaires viennent de la ville. C’est grave tout cela », fait savoir Georges Doué.
Pour ce fils du quartier qui vit à proximité d’un charnier, le bout du tunnel n’est pas loin. « Le bout du tunnel n’est pas loin. Le procès a débuté. Il faut que les autorités appuient sur l’accélérateur pour que tout cela finisse et que la paix et la réconciliation reviennent véritablement. Le peuple wê est le peuple le plus gentil. Il y a des peuples qui vivent seuls. Mais ici, nous avons accueilli tout le monde. Amadé Ouérémi a dit qu’il a reçu les tenues militaires des gens pendant qu’il était dans son champ. Ceux qui l’ont mandaté se connaissent et la justice de Côte d’Ivoire est une justice que nous estimons crédible. Elle peut nous aider à panser nos blessures encore béantes en mettant aux arrêts ces tueurs. 20, 30, 50 ans ou même la prison à perpétuité ne pourront faire revenir nos parents tués atrocement. Ce qui m’intéresse, c’est pourquoi lui, un mécanicien de vélo est subitement devenu un tueur pour perpétrer toutes ses méchancetés à l’endroit de ses tuteurs. C’est cette vérité que nous voulons connaître davantage », souhaite-t-il.
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« Nous demandons que justice soit rendue »
Dans le village de Bagohouo, à l’instar des habitants du quartier ‘’Carrefour’’ de Duékoué, les souvenirs sont encore vivaces. Amadé Ouérémi avait élu domicile à quelques kilomètres du village, chef-lieu de sous-préfecture. Son règne était sans équivoque. « Nous rendons gloire à Dieu pour la justice qui a commencé à être dite aujourd’hui. Nous avons souffert de la méchanceté, de la barbarie dans toute sa laideur ici avec Amadé Ouérémi. Lui et ses hommes régnaient ici en maître absolu. Pour aller même dans nos champs, c’était un véritable parcours de combattant. Tout le monde avait peur. C’était un monstre, cet Amadé Ouéremi. Ils avaient érigé des barrages partout sur les routes où des parents malchanceux étaient abattus sommairement. Lui et ses hommes exploitaient à souhait la forêt du Mont Peko que nos aïeux et nous, avions préservée depuis des décennies. La forêt du Mont Peko n’existe que de nom », révèle un jeune habitant du village de Bagohouo.
Dans ce village et tous les autres sur l’axe Duékoué-Bagohouo, tous souhaitent que justice soit rendue pour soulager la population. « Revenir sur ces périodes difficiles de notre vie, c’est remuer le couteau dans la plaie. C’est réveiller la douleur dans le cœur des uns et des autres. Pour moi, cela peut attiser une certaine haine contre d’innocentes personnes. Nous demandons que justice soit rendue. Que nos bourreaux paient pour tous ces massacres », soutient Doho Cyril, fils du village de Bagohouo.
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« Ce procès est une bonne chose. Il nous va droit au cœur. Les gens qui ont tué nos parents ici à Carrefour vont devoir payer pour leurs crimes. Nous sommes vraiment contents. Amadé Ouérémi, c’est vrai c’est lui qui est sous les feux de la rampe, mais il n’est pas seul dans cette histoire de tuerie à Duékoué et surtout à ‘’Carrefour’’. Si c’est un début pour que tous les coupables répondent de leurs actes, c’est vraiment bien. Cela peut soulager nos peines.
Nous attendons de la justice une impartialité sans faille. Tel que ce procès a commencé, qu’il continue pour que tous les bourreaux du peuple wê soient retrouvés et jugés. Pour un tel procès, le faire en catimini, ce n’est pas bon. Il faut que ça soit retransmis sur les chaînes nationales pour que chacun soit imprégné de ce qui se passe. De nombreuses victimes ne savent pas que le procès a commencé. Il faut que les donnes changent. Il faut surtout trouver les commanditaires et les complices de toutes ces exactions pour que la population soit soulagée véritablement », martèle Koho Joël.