RÉCIT – « Moi, Ahmed, 37 ans, migrant ordinaire… »
C’est l’histoire, dramatique et émouvante, d’un migrant ordinaire. Il est Ivoirien et comme les autres, il a un jour de décembre 2016 décidé de partir, un rêve d’Europe en tête. Comme les autres il a été pris dans les griffes des vendeurs d’illusion, passeurs, esclavagistes, intermédiaires véreux… il n’a évité aucun des pièges qui l’attendaient en chemin. Il a tout connu de la douleur de ces jeunes africains sub-sahariens qui, du désert du Niger à la mer Méditerranée en passant par la Libye, ont tenté leur chance pour souvent trouver la mort. Lui, a réussi. Mais à quel prix? Pour les besoins du récit nous l’appellerons Ahmed. Il a accepté, depuis la France où il réside désormais en clandestin, de parler à PoleAfrique.info. Un récit glaçant que nous proposons en cinq épisodes.
Épisode 2 – Vendu dans le désert Nigérien
Résumé de l’épisode 1 – Pour Ahmed, ivoirien de 37 ans, la décision, en ce mois de décembre 2016, est prise. Alors qu’il vient de se faire licencier, il gagnera l’Europe, avec son frère cadet, par la Méditerranée. Il obtient la bénédiction de sa mère. Mais il est loin de se douter de l’implacable réalité du trajet qui l’attend. Avec son frère, ils achètent donc leur ticket de bus pour Niamey.
« J’ai embarqué le 19 décembre 2016 à 4h du matin, avec mon frère, dans un car en direction de Niamey, la capitale du Niger. Nous avons fait escale au Burkina Faso avant de continuer notre chemin. En route, quand on était encore à Yamoussoukro, l’apprenti du car dans lequel nous étions, m’a demandé de prendre en charge, en plus de mon frère, une jeune fille, qui faisait le même trajet que nous, et de veiller sur elle. J’ai accepté. Tout allait bien jusqu’à ce que nous arrivions à la frontière entre le Burkina et le Niger. C’est là que nos problèmes ont commencé. Les passeurs nous ont révélé qu’ils avaient reçu l’ordre de ne pas laisser passer les ivoiriens. C’était un ordre venu, selon eux, du Président Alassane Ouattara. Et donc pour passer, il fallait débourser de l’argent. En plus de cela, les gardes frontaliers ne voulaient pas laisser passer mon petit frère et la fille dont j’avais désormais la charge, sous prétexte qu’ils étaient mineurs. Ils m’ont réclamé la somme de 200 000 FCFA si je voulais que mes protégés soient transportés jusqu’à Niamey. On les ferait passer sur des taxis motos à travers la forêt. On devait donc se retrouver à Niamey mais le voyage devait se faire séparément. Cela a été difficile pour moi d’abandonner mon petit frère, sans être sûr de le revoir. Mais je n’avais pas le choix. En route, nous avons trouvé plusieurs barrages. A chaque fois, il fallait donner de l’argent pour passer. Les sommes variaient de 10 à 20 000 F par barrage. Je ne puis vous dire le nombre de postes de police que nous avons traversés, tellement j’étais obnubilé par le souci de retrouver mon frère. Mais nous étions en contact car à chaque escale, j’appelais le chauffeur du taxi moto, qui me passait mon frère. C’est ce que j’ai fait jusqu’à Niamey. À un moment, alors que j’appelais pour connaitre la position de mon petit frère, on m’a dit qu’il avait été fait prisonnier, avec la fille, et qu’il fallait que je paie la somme de 60 000 FCFA chacun pour leur libération. Nous n’étions pas encore en Libye mais déjà, au Niger, mon frère avait connu la prison ». Ainsi parle Ahmed, migrant ivoirien à Poleafrique.info, depuis la France où il réside désormais.
Son objectif, gagner clandestinement Agadez, ville frontalière du Niger avec la Libye. En plein désert. Puis rallier Tripoli et traverser la Méditerranée pour débarquer sur les côtes d’Italie. Voilà quatre jours qu’il est parti. Il arrive à Niamey. Dans la touffeur de la capitale nigérienne, il reste plus d’un mois. Il s’agit de négocier la sortie de prison de son frère et de la jeune fille dont il a la charge, et trouver un transport pour gagner Agadez. De nouveau réunis, les voyageurs, après moult difficultés, trouvent enfin un moyen de se rendre à leur destination, Agadez.
« Ce n’était pas facile mais j’ai réussi à envoyer de l’argent pour la libération de mon frère et la jeune fille, une fois à Niamey. Ils m’ont finalement rejoint. On attendait maintenant de pouvoir partir. On se nourrissait comme on pouvait et on dormait dans les rues de Niamey. Un jour, j’ai rencontré un jeune ivoirien qui a bien voulu nous accueillir chez lui. Nous y avons séjourné pendant quelques jours avant de trouver un car pour Agadez. En route, c’était la même rengaine. Plusieurs postes de contrôle se dressaient sur notre chemin. On nous demandait chaque fois de payer sans quoi, on se serait fait arrêter. Il y en a qui ont été enfermés et d’autres dépouillés de tout ce qu’ils avaient. Il fallait donc bien dissimuler son argent, dans les chaussettes, au milieu des vêtements dans le sac ou même dans les dessous que nous portions pour ne pas être complètement dépiautés. La fille qui m’avait été confiée depuis la Côte d’Ivoire, n’avait plus un sou. A chaque barrage, je payais pour nous trois, jusqu’à Agadez. Je me disais, avec tout ce que j’avais traversé, que ce serait facile d’entrer en Libye. Mon calvaire ne faisait, en fait, que commencer », indique le migrant.
La moitié du Niger est un désert dont l’étendue représente 20 fois la taille de la Belgique. L’Union Européenne (UE) a conclu un accord avec le Niger en mai 2015, dans le but de réduire le flux de migrants qui tentent de traverser le désert. Depuis, la route officielle menant à la frontière libyenne est très surveillée, avec plusieurs postes de contrôle dans le Sahara. Une situation qui oblige les migrants à prendre des voies de plus en plus dangereuses. En juin 2017 par exemple 44 corps de migrants sans vie, dont des enfants, ont été retrouvés dans le désert nigérien. Ils sont morts de soif après avoir subi une panne de moteur. Le risque de se perdre dans cette étendue sablonneuse, sans eau ni nourriture, est très grand. Mais cela, Ahmed l’ignorait. Avec ses protégés, il est prêt à prendre la route pour la Libye.
« Lorsque nous sommes arrivés à Agadez, nous avons attendu pendant plus de trois jours. Personne ne venait nous chercher. Il fallait traverser le désert. Et quand vous n’êtes pas programmés d’avance pour un départ, il est difficile de vous en sortir. Le temps passait. On dormait à même le sol, à la gare de la compagnie de transport qui nous avait emmenés à Agadez. Un jour, un concitoyen m’a confié qu’il y avait un départ prévu dans deux jours et qu’il fallait, pour être dans le convoi, m’acquitter des frais de traversée. Comme j’avais déjà tout réglé en Côte d’Ivoire avant de partir et que mon contact sur place tardait à m’aider, j’ai décidé de joindre le jeune ivoirien qui m’avait montré le circuit depuis Abidjan. Je lui ai décrit la situation. Sans discuter, il m’a fait parvenir la somme de 800 000 FCFA afin qu’on puisse s’acquitter du droit de traversée du désert. Ce montant nous a permis, mon frère, la fille et moi d’embarquer dans des pick-up, en direction du désert. Nous étions environ 400 personnes parquées dans 7 véhicules tout terrain, à l’épreuve du Sahara. Cependant nous ignorions que nos convoyeurs nous avaient déjà vendus aux libyens. Tout s’est passé au téléphone sans que nous ne nous doutions de rien. Les passeurs nigériens étaient gentils au départ, lors de l’embarquement. Mais après deux jours passés dans le désert, ils ont sorti des armes pour nous obliger à faire ce qu’ils voulaient. On a roulé pendant plusieurs jours dans le désert. En route, lorsque les véhicules tombaient en panne ou s’enlisaient dans le sable, ils nous obligeaient à descendre pour les remettre en marche. Cela se faisait à coups de chicotte ou sous la menace d’armes à feu. Ils tiraient parfois même en l’air pour maintenir la pression et faire prospérer le sentiment de peur. Ils ont utilisé toute l’eau qu’on avait pour les radiateurs de leurs véhicules. Nous avons trouvé un poste de contrôle en plein désert. Là, nous avons payé la somme de 5000 FCFA chacun avant de continuer. Nous n’avions plus d’eau et une querelle entre passeurs, les avaient fait prendre des chemins différents. Perdus au milieu du désert, nous étions livrés à nous-mêmes. Il fallait descendre du véhicule les soirs et dormir sur le sable. La journée il faisait chaud mais la nuit le froid nous piquait sous nos couvertures. Je craignais pour ma vie et celles de mes protégés. Je priais de toutes mes forces afin que le calvaire prenne fin. Nous avons passé en tout, une semaine dans le désert avec des passeurs armés. Dans la chaleur, le froid et objets de toutes formes d’humiliations, nous avons fini par atteindre le premier village libyen, à la frontière avec le Niger». Ahmed pense alors que les souffrances sont derrière lui. Il se trompe.
Éric Coulibaly
Source : Rédaction Poleafrique.info