RÉCIT – « Moi, Ahmed, 37 ans, migrant ordinaire… »
C’est l’histoire, dramatique et émouvante, d’un migrant ordinaire. Il est Ivoirien et comme les autres, il a un jour de décembre 2016 décidé de partir, un rêve d’Europe en tête. Comme les autres il a été pris dans les griffes des vendeurs d’illusion, passeurs, esclavagistes, intermédiaires véreux… il n’a évité aucun des pièges qui l’attendaient en chemin. Il a tout connu de la douleur de ces jeunes africains sub-sahariens qui, du désert du Niger à la mer Méditerranée en passant par la Libye, ont tenté leur chance pour souvent trouver la mort. Lui, a réussi. Mais à quel prix ? Pour les besoins du récit nous l’appellerons Ahmed. Il a accepté, depuis la France où il réside désormais en clandestin, de parler à PoleAfrique.info. Un récit glaçant que nous proposons en cinq épisodes.
Épisode 5 – « A mes amis qui m’appellent, je dis l’Afrique est mieux »
Résumé de l’épisode 4 – Arrivé avec son frère cadet à destination, Paris, après un long et périlleux voyage, Ahmed déchante rapidement. La France n’est pas la terre d’abondance rêvée. Vivoter en clandestin n’est pas chose facile. Son frère, parce qu’il est mineur, a été pris en charge par les services sociaux et va être scolarisé. Mais pour lui, c’est la galère. Si ce n’était une ivoirienne de ses connaissances qui lui a tendu la main et l’héberge le temps que les choses aillent mieux.
A Paris, Ahmed est pris au piège. Son rêve brisé se confond à présent avec son quotidien. Il ne lui reste plus qu’à tenter de survivre sans jamais perdre pieds.
« Même à mon pire ennemi, je ne souhaiterais pas ce que j’ai vécu. À personne je ne conseillerais de suivre la même voie. Vouloir se rendre en Europe en passant par la Libye et la traversée la Méditerranée, c’est la route de la mort. J’ai survécu, c’est un miracle et je ne pense pas que cela puisse se reproduire. Le nombre de morts que j’ai vus en Libye est incalculable. Des personnes meurent de faim, d’autres n’arrivent même pas à se tenir sur leurs pieds parce qu’ils sont à bout, à force d’être battus quotidiennement. Dans la prison où j’étais, on n’avait pas le droit de communiquer, on dormait assis, les pieds repliés sous nous-mêmes. Gare à vous si vous essayez de les étirer. Abattre un homme et le jeter dans le désert est monnaie courante dans ce pays. J’ai encore beaucoup d’amis là-bas et j’ai bien peur qu’ils ne puissent pas s’en sortir. Il est difficile en Libye de repérer les prisons. Ce sont généralement de belles résidences vues de l’extérieur. Mais à l’intérieur, c’est l’enfer, la demeure du diable. En Libye, le noir vaut de l’or. Un libyen, après avoir vendu deux africains noirs peut s’acheter une voiture. Pour eux, nous ne sommes que de la marchandise. Nous sommes chassés comme du gibier. Non, même si c’était à refaire, je ne le ferais pas. Jamais ! », indique le migrant, ému par tout ce qu’il a traversé, au moment de finir son histoire.
De plus en plus, des voix s’élèvent pour condamner l’esclavage en Libye. Mais au-delà des déclarations, la réaction des dirigeants africains est attendue. Les migrations ont même été au centre des débats lors du 5ème sommet Union Africaine-Union Européenne, à Abidjan en novembre 2017. Plusieurs pays ont appelé à des sanctions contre la Libye mais le Secrétaire Général de l’ONU, Antonio Guteres, lui, milite plutôt pour la création d’un cadre légal pour les migrants, qui veulent rejoindre l’Europe. Les chefs d’Etats de l’Union Africaine savent le défi qui les attend : donner une perspective à la jeunesse africaine, de l’emploi, un mieux-être. Ils ont réclamé pour cela le soutien de l’Union Européenne et un partenariat d’égal à égal avec l’Europe pour augmenter leurs ressources financières. Ils savent que s’ils échouent l’Afrique enverra encore et encore des jeunes cherchant un meilleur avenir se fracasser sur le mur d’une réalité plus dure que leurs rêves.
Selon notre témoin Ahmed, ils sont encore nombreux à vouloir rallier l’Europe, toujours par cette voie de la Méditerranée. Ahmed, lui, est lucide. Son constat est sans concession.
« Mes amis m’appellent au téléphone depuis la Côte d’Ivoire. Ils me demandent de leur expliquer mon circuit afin qu’ils puissent me rejoindre, ici, en Europe. Je fais tout pour les en dissuader. Vous savez, je ne pensais pas pouvoir le dire un jour mais l’Afrique est mieux. En Côte d’Ivoire, peu importe la situation, j’arrivais à trouver de quoi assurer mon quotidien. J’avais des amis qui m’aidaient et j’étais chez moi. Mais ici, je vis grâce à une âme généreuse, qui a bien voulu me recueillir chez elle. Mais là encore j’ai beaucoup de chance car des personnes m’ont dit qu’elles ont été sans abris pendant des années et qu’elles se nourrissaient de restes, dans les poubelles des restaurants de Paris, avant d’entrevoir une lueur d’espoir. Alors je me dis que les choses vont s’arranger. De toutes les façons, je n’ai plus le choix. Je suis condamné à aller de l’avant et Dieu seul peut dire ce qui adviendra de ma vie ». Amer conclusion pour Ahmed qui a su puiser dans un instinct de vie hors norme pour se sortir des pires situations. Aujourd’hui, en quête d’une voie qui lui permettrait de reprendre espoir, il n’envisage toujours pas de rentrer au pays. Comment le ferait-il d’ailleurs ?FIN
Éric Coulibaly
Source : Rédaction Poleafrique.info