La semaine écoulée a été rythmée par l’actualité de l’acquittement avec effet de libération immédiate de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, les deux ivoiriens incarcérés depuis bientôt 7 ans pour leur rôle présumé dans la crise postélectorale de 2010-2011 avec à la clé 3000 morts. C’est un pan de ces faits qualifiés de « crime contre l’humanité et crimes de guerre » qui leur vaut donc ce séjour carcéral à l’international.
En Côte d’Ivoire, ils étaient des habitués des geôles du PDCI-RDA. Cette annonce d’acquittement et de libération des deux célèbres bagnards a été diversement appréciée selon que l’on soit pro ou anti-Gbagbo. Pour les uns, c’est une victoire, la réalisation de la parole sainte de la victoire du Bien sur le Mal, de Dieu, seulement acquis à la cause de pro-Gbagbo contre les anti-Gbagbo qui criaient à la trahison de la CPI.
Là où le Droit agit, il n’y a pas place pour les émotions. Après deux jours de joie indescriptible pour les pro-Gbagbo, c’est autour des anti-Gbagbo de jubiler à l’annonce du maintien en détention des deux prisonniers ivoiriens par la Chambre d’appel de la CPI. Le gouvernement ivoirien qui en sait beaucoup sur ces manœuvres a dans la foulée de l’amnistie accordée aux prisonniers civils de la crise postélectorale, pondu un communiqué pour prendre acte de la décision de la justice internationale espérant que cette libération contribue à la « décrispation et à la réconciliation » ; laquelle justice internationale estime qu’il n’y a suffisamment pas de preuves pour condamner l’ex-président et son leader de jeunesse patriotique. Face à la joie des uns, la colère des autres, au milieu un message : la vengeance.
De part et d’autre, on nourrit la petite soif de vengeance. Des pro-Gbagbo estiment que les pro-Ouattara redoutent qu’il leur soit servi « ce que leur pouvoir a fait » quand ces derniers veulent se faire eux-mêmes justice. Pour les pro-Ouattara, point de doute, le seul et unique coupable se nomme Laurent Gbagbo. Pour les pro-Gbagbo qui s’arc-boutent à refaire le procès des élections là où le « diable » s’était emparé de tous selon Pr Paul Yao N’dré, Gbagbo et ses ouailles ont raison de Ouattara, de la France et du monde entier.
On a juste fait sept à huit ans sans avoir réellement bougé, mué nos consciences, chanter la réconciliation nationale sans y croire. Juste pour la forme. Plus qu’aujourd’hui, on se rend bien compte que cette réconciliation tant vénérée n’était qu’une vue des politiciens mais pas celle des Victimes. Car, 3000 morts, civils et militaires n’appartiennent pas à un seul camp. Des ivoiriens qui n’ont rien à voir avec la politique sont morts, des victimes dont l’identité ne dit rien à ces hommes politiques. Ainsi, chaque ivoirien qui jubile ou condamne la sortie de Gbagbo aurait pu se retrouver mort. Pour à la fin, ne pas savoir qui a été la cause de sa mort.
Mais, comme le dit le philosophe, « il est naturel de mourir que de naître » pour dire que ce sont deux faces d’une même pièce. Avec la mobilisation des anti-Gbagbo, décidés à se venger de ceux qu’ils voient comme bourreaux d’hier, qui eux, saluent l’acquittement et la libération de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, un constat se dresse : le travail de réconciliation n’a pas été fait. Qui a-t-on réconcilié ? Qui est le bourreau et qui est la victime ? Ceux qui aujourd’hui jubilent ou sont frustrés de la non sortie de Gbagbo, qui annoncent vouloir « tuer » les « dioulas » n’ont pas forcément vécu la guerre à Abidjan. Ceux qui aussi veulent anéantir du pro-Gbagbo n’ont pas tous perdu un parent et n’ont pas été touchés directement par la souffrance de ceux qui ont vécu ces mois sombres à Abidjan.
Alors, qui doit-on réconcilier ou qui sont ceux qui devraient se réconcilier ? En réalité, tout le temps, on a juste fait un léger bandage qui a permis de couvrir la plaie d’une croute qui en quelques jours, s’est rouverte. Elle est là, dans toute sa laideur et sa puanteur. C’est toute la société ivoirienne, des grands enseignants-chercheurs d’Université aux charretiers qui se retrouvent dans une arène aux règles non définies. Ici un seul mot à la bouche, « c’est nous qui sommes victimes ».
Voici au moins un sentiment qui unit, la douleur. C’est pourquoi, les acteurs politiques dans leur ensemble devraient être au banc des accusés devant le Peuple pour des « gbès » (vérités). Qu’est-ce qui différencie une victime pro-Gbagbo d’une pro-Ouattara ? Ont-ils bénéficié d’une attention de leur parti respectif ? Qu’a fait le RDR pour ces milliers de militants ou sympathisants tombés sur le long chemin de son accession au pouvoir ? Qu’a fait le FPI pour ceux qui, de la clandestinité au grand jour d’octobre 2000 ont tout sacrifié pour Gbagbo ? Le destin de la majorité de ces sacrifiés du destin politique des uns et des autres est le même, oublié à leur triste sort. Si les rancœurs sont vivaces, c’est aussi l’échec des politiciens qui, après avoir gagné le Graal, foncent le regard rivé sur leur destin, sans un détour en arrière. Au moment où des pro-Gbagbo estiment que la sortie de prison de Laurent Gbagbo est la clé de voute de la Vraie réconciliation nationale, d’autres des leurs, nourrissent l’envie de la vengeance.
En quoi donc la sortie de Gbagbo serait la clé de la réconciliation nationale quand d’autres ivoiriens estiment avoir été victimes de sa politique et de ses hommes ? En tourne en rond et ce ne sont pas quelques millions FCFA distribués çà et là qui vont changer les mentalités. La Vraie et sincère réconciliation viendra de nos coutumes, mettre en avant nos chefferies traditionnelles, non encore politisées, user des alliances à parenté et solder ces années noires pour une paix des cœurs. Ce ne sont pas les politiciens qui le feront, mais les Victimes qui ont en partage la douleur de la perte d’un être cher. Car, il n’y a ni victoire ni défaite pour qui que ce soit et ce ne sont pas les mots qui sonnent vains qui vont réconcilier les ivoiriens mais leur propre volonté. Pour ce faire, il faudrait mettre en avant les Victimes et non célébrer les vivants.
C’est autour d’elles que la réconciliation nationale pourra se faire car les vivants n’ont pas fini de se battre pour le fauteuil présidentiel et les ors de la République au détriment des souffrances endurées par leurs militants.
Adam’s Régis SOUAGA
Source : rédaction Pôleafrique.info