Analyses

Rencontre Ouattara-Bédié : De quoi la montagne a-t-elle accouché? / Philippe Di Nacera

Mis à jour le 4 mars 2021
Publié le 12/11/2020 à 11:52 , , , , ,

Annoncée par Alassane Ouattara au soir de la proclamation officielle du résultat de l’élection présidentielle par le Conseil Constitutionnel, lundi 9 novembre, la rencontre entre les deux présidents Bédié et Ouattara sur le site hautement symbolique pour eux de l’hôtel du Golf a donc eu lieu le mercredi 11 novembre 2020. Cet endroit faussement neutre fait référence aux premières heures d’une Présidence Ouattara, en 2011, installée dans la douleur, mais avec l’appui ferme de Henri Konan Bédié et de son parti, le PDCI. Les graves évènements de M’Batto, intervenus mardi 10 novembre, ont évidemment accéléré le processus de cette rencontre qui avait pour objectif premier de faire baisser les tensions intercommunautaires dans le pays.

Certains ont pu être déçus de ce qui est sorti de cette rencontre pourtant cruciale. Il ne faut pas. À la sortie, les deux hommes ont prononcé quelques mots chacun, précisant que ce rendez-vous avait permis tout d’abord de s’accorder sur un objectif commun, la Paix en Côte d’Ivoire, ensuite, de renouer le fil du dialogue qui était interrompu depuis des mois entre les deux hommes, peut-être de rétablir, comme l’a précisé le Président Ouattara, la confiance entre eux, enfin, de décider de se revoir prochainement et de maintenir un fil de communication continu entre eux. Ce fut bref, mais loin d’être anodin, quand on sait d’où l’on partait.

Il ne pouvait d’ailleurs en être autrement, mercredi soir. Car des préalables de chaque côté ont été posés pour que le dialogue renoué puisse prospérer.
Henri Konan Bédié a exigé publiquement, dans un communiqué publié juste avant la rencontre du 11 novembre, que le blocus établi par les forces de l’ordre devant chez lui et les autres leaders de l’opposition soit levé ; il a également exigé que ceux des responsables emprisonnés, dont les principales figures sont Messieurs Guikahué et Affi N’Guessan, soit libérés rapidement. Gageons que dans le huis clos de sa conversation avec Alassane Ouattara, la question du retour de Guillaume Soro et de l’ancien Président Laurent Gbagbo a été mise sur la table.

Côté pouvoir, aucune déclaration préalable, mais une évidence : l’opposition devra officiellement renoncer à son Conseil National de Transition si elle veut espérer que l’apaisement soit réel et que les discussions commencent vraiment.
Henri Konan Bédié a, dès mercredi soir, à la sortie de sa rencontre avec le Chef de l’État, invité les membres des plateformes de l’opposition à se réunir chez lui le vendredi 13 novembre « pour faire le point sur leurs attentes et leur vision de l’avenir« . Si l’opposition enterre demain la CNT, les libérations des leaders arrêtés chez Henri Konan Bédié pourraient suivre dans la foulée.

Ainsi commence à se dessiner une « chronologie de l’apaisement » qui devrait rassurer, enfin, les Ivoiriens.

Une chose n’a pas encore été dite. Cette paix des esprits une fois retrouvée, sur quoi porteront les discussions ?
L’opposition, demain, réclamera une redéfinition de la Commission électorale indépendante, peut-être une réforme du Conseil constitutionnel, sûrement un audit des listes électorales ; elle devrait exiger que le dialogue ainsi ouvert soit « inclusif« , c’est-à-dire intégrant Guillaume Soro et Laurent Gbagbo. Le Président a déjà dit, dans une interview à nos confrères de RFI et France 24, qu’il voulait rétablir la limite d’âge, dans la Constitution, pour les candidatures à l’élection présidentielle.

De quels sujets le Président est-il prêt à s’emparer rapidement? De quelle forme de gouvernance accouchera ce dialogue ? Un statut pour l’opposition? La formation d’un gouvernement de mission, élargi à des membres de l’opposition? L’avenir proche nous le dira.

La rencontre du mercredi 11 novembre entre les deux géants enclenche, on le voit, un processus déterminant pour la suite. Il en va de la réussite du dernier mandat d’Alassane Ouattara. Mais au-delà, l’enjeu est l’avenir de la Côte d’Ivoire elle-même. Les vieux acteurs de la scène politique ivoirienne jouent, on le voit, leur sortie face à l’histoire et la « jeune génération » doit enfin pouvoir trouver sa place.

Mercredi, la montagne a accouché, non pas d’une souris, mais d’une autre montagne. Un Kilimandjaro qui, si la classe politique parvient à franchir ses pentes rugueuses, placera la Côte d’Ivoire sur le toit du continent africain.

Philippe Di Nacera

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