Où va le Sénégal ? La question se pose après la décision du président Macky Sall de reporter le scrutin présidentiel. Une décision déjà contestée par l’opposition politique du pays.
Il n’y aura pas d’élection présidentielle au Sénégal le 25 février 2024. Par une décision, le président sénégalais Macky Sall a souhaité et obtenu le report du scrutin prévu à cette date prévue par la Constitution de son pays. Entre autres motifs avancés, le chef de l’Etat sénégalais évoque des questions sécuritaires. Il remet aussi en cause une décision du conseil constitutionnel de son pays.
Le processus électoral ainsi interrompu, tout devrait être remis à plat. Dans un pays fortement secoué dernièrement par des crises socio-politiques qui ont fait plusieurs morts, c’est une situation qui ne rassure pas. C’est en tout cas ce que pensent des observateurs.
Dr Eddie Guipié est Enseignant-chercheur en Sciences politiques à l’université Péléforo Gon Coulibaly de Korhogo dans le nord de la Côte d’Ivoire, ce n’est pas un bon signal pour le Sénégal.
« Il faut signifier que le processus électoral est inclus dans la Constitution. Autrement dit, ce sont des dates constitutionnelles auxquelles on ne peut pas déroger sauf modification de la Constitution. Or c’est ce qui a été fait. Mais il faut signaler également que les décisions du conseil constitutionnel quel que soit la nature qu’elles prennent, sont insusceptibles de recours. C’est-à-dire que lorsqu’il prend une décision, il n’y a plus aucun recours, il faut simplement l’appliquer. Le fait de remettre cette autorité de la chose du juge suprême qui est le conseil constitutionnel est déjà un cas de haute trahison, car c’est une violation majeure de la constitution. Oui, nous sommes malheureusement dans une boîte de pandore ouverte à l’incertitude », analyse pour 7info le politologue ivoirien.
Sur proposition de la présidence sénégalaise, l’Assemblée nationale s’est prononcée sur le report du scrutin le lundi 5 février 2024. Mais sans la participation des élus de l’opposition. Ces derniers ayant opté de ne pas s’associer aux travaux s’il n’y a pas d’examen de fonds préalable du projet de loi.
Sous escorte de gendarmes, ils sont sortis de l’Assemblée nationale. Mais cela n’a en rien entravé les travaux des autres députés. Un peu plus tard dans la nuit, le projet de loi a été entériné. Validant ainsi l’interruption du processus électoral, à quelques heures du démarrage de la campagne électorale.
Pour l’universitaire ivoirien, le fait que l’Assemblée nationale ait pris l’initiative politique, juridique et constitutionnelle est une fait « assez inédit » qui « peut prendre la forme d’un coup d’Etat constitutionnel ».
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« Il faut rappeler que cette initiative est faite en violation des normes internationales prescrites par la CEDEAO et l’Union africaine qui prescrivent que les lois et les règles électorales ne doivent pas être amendées six mois avant les scrutins présidentiels. C’est une violation flagrante de ces lois. Et à mon sens, c’est un coup d’Etat constitutionnel qui vient d’être fait », fait savoir Dr Eddie Guipié.
À l’issue des travaux, les députés sénégalais ont convenu du report de la présidentielle jusqu’à fin 2024. Une décision qui suscite encore des interrogations, mais qui prolonge aussi le mandat de Macky Sall. Le président sénégalais au pouvoir depuis 2012, finit son mandat en avril. Il a également déclaré qu’il n’est pas candidat à la prochaine élection.
« La date qui vient d’être proposée par l’Assemblée nationale sénégalaise est celle du 15 décembre 2024. Est-ce qu’à cette date la question sera résorbée, est-ce que le parlement peut légitimement interférer dans les affaires judiciaires d’ordre constitutionnel, est-ce qu’il y aura des sanctions contre les membres du conseil constitutionnel qui selon le président Macky Sall n’ont pas été conformes au droit, est-ce que le conseil constitutionnel sera suspendu, est-ce que le président Sall va nommer un autre juge constitutionnel ? Il y a de nombreuses interrogations qui se posent et qui éloignent la sérénité du scrutin présidentiel à venir », analyse Dr Eddie Guipié.
Richard Yasseu