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Reportage- Migrants mineurs ivoiriens, au cœur du retour de l’enfer Libyen

Mis à jour le 14 mars 2019
Publié le 14/04/2017 à 4:34

156 migrants ivoiriens   en situation de détresse en Libye sont rentrés à Abidjan ce 13 avril 2017. Parmi eux, on dénombre 13 mineurs. Politikafrique.info a assisté à leur accueil au côté des familles.

« C’est dur. La Lybie c’est dur. Là-bas, c’est dur. Je ne peux pas trop parler  », lâche  la voix à peine audible,  S. I., 17 ans. L’adolescent  visiblement épuisé fait partie des 13 mineurs identifiés dans la vague des 156 migrants rentrés en Côte d’Ivoire aux environs de 18h40  ce 13 avril 2017. Leur âge varie de 2 à 17 ans. Les quatre phrases du petit S.I. résument la détresse de ces voyageurs. A l’aérogare Sud de l’aéroport Félix Houphouët Boigny d’Abidjan, les journalistes recueillent des témoignages sans appels.

K.A., lui, vivait à Abobo Sagbé avant d’emprunter la route de la mésaventure il y a trois mois. « Nous partions en Italie et on nous a pris sur l’eau. Ils nous ont mis en prison. Après un mois, ils nous ont libérés. Nous avons trop souffert. Que ceux qui veulent partir par la mer ne partent plus. C’est très risqué. Certains étaient vendus comme esclaves. Je suis très fatigué madame », confie le bonhomme, heureux tout de même de retrouver les siens.

Ce soir, il fait et refait des accolades à son aîné venu à sa rencontre. Kéita Ali  l’aîné qui lui a donné son aval pour le voyage  a fini par désenchanter. « Il m’a informé lorsqu’il était au Burkina Faso. Je lui demande pourquoi. Il me dit qu’il veut faire comme les autres. Je lui ai donné ma bénédiction. Il a dit qu’il avait besoin de 200 mille F CFA et nous avons réuni l’argent pour envoyer. Mais chaque jour, il était confronté à un problème d’argent. Aujourd’hui, je suis très content de son retour. J’ai envie de danser. S’il est à Abidjan, nous dépensons moins ».

A côté d’eux, le regard hagard, Diakité Seydou retient son souffle. Il vient d’apercevoir son petit frère, l’avant dernier né de la famille après une année de perte de vue.  Ce dernier  répond aux questions des agents de l’Office International des Migrations (OIM) à quelques pas de lui. Quelques minutes plutôt, le petit frère de Seydou obtenait un laisser-passer de la Police avant de se présenter devant les agents de la Direction de Surveillance du Territoire(DST). C’est le protocole d’usage. Il permet d’identifier les migrants de retour par évacuation humanitaire et de recueillir leur motivation. Le ministère ivoirien de la Famille participe aux audiences aux côté de l’OIM. Il en est de même pour l’Office national d’Identification.

Quand il finit de se prêter au protocole, c’est tout heureux que  le jeune homme de 17 ans, ancien élève à Attécoubé, se jette dans les bras de son aîné. Il lui est remis un colis de l’OIM contenant des vivres, dont du riz et de l’eau minérale.  

« Je suis très ému. Je ne sais quoi dire à Dieu. Je suis heureux de le voir vivant car les informations qui nous parvenaient n’étaient pas reluisantes », indique Seydou, la voix tremblotante. Il y a presqu’un an, il est au marché lorsqu’il reçoit  un appel de son frère lui disant qu’il est en partance pour la Lybie avec un ami. « Je lui demande qui il a prévenu avant de partir. Je lui demande de revenir. Je lui propose d’envoyer les frais de transport pour qu’il revienne. Il refuse. Et il ne m’a plus contacté. Une fois au Niger, il m’a recontacté. Je lui demande avec insistance de revenir, il ne veut pas. Souvent il m’appelle pour me dire qu’il a des problèmes pour manger. J’étais très inquiet. Ce soir c’est une délivrance », est-il soulagé.

Des fillettes d’environ 14 ans sont parmi ces enfants migrants. L’une confie être partie avec l’aval de sa mère vivant en France. Selon la fillette, sa mère transférait de l’argent le long du processus jusqu’à ce qu’elle soit interceptée sur l’eau puis conduite en détention.

 Les travailleurs humanitaires tiennent au respect des droits des mineurs. Aussi leur droit à l’image et leur droit à l’identité sont pris en compte.

« La présence de l’ONI sur place est nouvelle. L’idée est de vérifier l’authenticité des déclarations. Certains se déclarent Ivoiriens sans l’être vraiment et faussent les chiffres », indique un travailleur du ministère des Ivoiriens de l’Etranger. Ils sont précisément 145 hommes et 11 femmes à être accueillis. A côté des mineurs, on dénombre de nombreux jeunes hommes.  Exposés  à la maltraitance de tout ordre dont l’esclavage, les migrants issus de l’Afrique subsaharienne vivent l’enfer en Libye, un pays désorganisé du fait de la guerre. C’est ce qui ressort des témoignages dont celui d’A. Ouattara, la trentaine.   Contrairement aux enfants, il semble tenir physiquement. C’est sans signe de fatigue qu’il répond à Politikafrique.info.

« Je suis parti de la Côte d’Ivoire pour l’Europe. Cela a mis du temps, j’ai eu des problèmes en cours de route. J’ai été pris sur l’eau. Ce n’est pas une belle histoire à raconter. Que ceux qui veulent partir renoncent », décourage-t-il les éventuels candidats à l’émigration clandestine.

« Nous étions dans des conditions déplorables. La Lybie est un pays en crise. Il n’y a pas de droits de l’homme. Nous nous cachions là-bas. Nous ne sommes pas venus volontairement. Nous avons été déportés de force. Il y avait la guerre dans les quartiers des noirs. D’autres ont été tués. La survie dans les prisons là-bas est très difficile. Si vous n’avez pas de chance, les arabes vous vendent ailleurs comme esclave. Je remercie l’OIM et l’Etat de Côte d’Ivoire qui ont facilité notre retour », se réjouit-il du retour au bercail.

Il faut préciser que les mineurs jouissent d’un dispositif spécial lors de l’évacuation dans le pays de départ. Les travailleurs humanitaires veillent  à ce qu’ils soient effectivement remis à leur famille. Selon les informations recueillies sur place, la question des migrants mineurs est de plus en plus préoccupante.  « Ils vont avec des amis, parfois avec la bénédiction des familles dans 90% des cas. Mais lorsqu’on interroge les familles, elles font semblant de n’avoir pas été informées. La responsabilité familiale est engagée. Ces pères et mères de familles espèrent que l’enfant apportent de l’argent de l’aventure », relate un travailleur humanitaire.

Un système d’intégration des migrants est mis en œuvre une fois de retour au pays. Selon un agent de l’OIM qui requiert l’anonymat, la prime de réintégration oscille entre 1000 et 1300 euros, soit entre 650 000 et 845 000 F CFA, selon les Fonds octroyés par les bailleurs.

Interrogé sur  le processus de  repérage et de regroupement des migrants ivoiriens dans les pays d’accueil, Issiaka Konaté, directeur des Ivoiriens de l’Extérieur explique : « L’ambassade fait un premier travail d’identification. Le second travail est la transmission des données sur les personnes au ministère concerné en Côte d’Ivoire, qui fait un autre travail de validation pour émettre des laissez-passer. C’est quand même un travail qui est fait. Ce travail se poursuit quand les personnes arrivent. Beaucoup de précaution sont prises. Nous allons continuer avec beaucoup de prudence pour que tous les Ivoiriens qui se retrouvent à l’extérieur dans une situation d’extrême détresse, souvent exposés à des esclavagistes, s’ils souhaitent revenir. C’est l’ambition d’un pays moderne. Nous allons poursuivre sur cette voie ». M. Konaté poursuit : «L’eldorado c’est ici. Le retour des migrants ce jour est la preuve qu’il n’y a pas forcement ce sentiment de réussite là-bas.  Nous recommandons à la jeunesse ivoirienne de prendre les opportunités qui s’offrent à elle sur place dans le pays. Si les jeunes constatent des difficultés, qu’ils prennent attache avec les ministères concernés pour qu’ensemble une réponse cohérente leur soit apportée », recommande-t-il.

Au total 1206 ivoiriens en situation de détresse à l’extérieur ont  bénéficié de ce type d’évacuation humanitaire organisée par l’Etat  de Côte d’Ivoire et ses partenaires. Ceci, depuis la guerre en Centrafrique. 

Nesmon De Laure

Politikafrique.info

 

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