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Réseaux sociaux et religion, l’offensive de la propagande pro-russe en Afrique

Mis à jour le 5 juin 2024
Publié le 05/06/2024 à 9:29 , , , , ,

Pour réduire l’influence de la France en Afrique et renforcer par conséquent la tienne, la Russie ne s’interdit plus rien et n’élude aucun secteur d’activité. De la politique à l’économie, en passant par le volet militaire, l’activisme russe, semble avoir trouvé deux nouveaux cadres d’expression : les réseaux sociaux et aussi surprenant que cela puisse paraitre, la religion. Comment cela se manifeste-t-il dans la pratique ?  Quel est le mode opératoire de ce qui s’apparente à une offre publique d’achat (OPA) ?  

 

En lançant en 2022, son offensive militaire contre l’Ukraine, Vladimir Poutine ne s’imaginait sans doute pas que cette agression dégraderait à ce point son image et celui de son pays.

Isolé diplomatiquement, il est perçu, aujourd’hui ni plus ni moins, comme un despote et la Russie apparait plus que jamais comme un vaste cimetière des libertés.

Dans ce contexte, redorer son blason, dans un premier temps, en surfant sur le sentiment anti-français qui semble prendre corps dans certains pays ouest-africains notamment, devient vital pour le Kremlin dont l’objectif à terme est clair : faire de l’influence, surtout en Afrique, pour être la tête de gondole d’un nouvel ordre mondial.

Pour y arriver, la Russie a décidé d’activer deux leviers en plein essor sur le continent africain : les réseaux sociaux et la religion.

Certes, la manœuvre est subtile sur ces deux axes d’actions mais elle est bien réelle.

Selon un rapport publié en février 2023 par “All Eyes on Wagner’’, une organisation qui enquête sur les agissements du groupe de mercenaires russes, et intitulé « Burkina Faso sous influence”, les commentaires pro-russes sur les réseaux sociaux sont en recrudescence.

Une campagne qui présente beaucoup de similitudes avec ce qui s’est déroulé en République centrafricaine.

A commencer par son acteur principal : l’homme d’affaires ivoirien Harouna Douamba, directeur de l’ONG Aimons notre Afrique (ANA). Sa filiale média, ANACOM, a soutenu le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra grâce au financement de Lobaye Invest, une filiale de Wagner en République centrafricaine.

Facebook a fini par interdire le groupe ANACOM, qui regroupe 21 médias en ligne, selon le rapport de “All Eyes on Wagner’’. Mais Harouna Douamba a créé une nouvelle société : le Groupe panafricain pour le commerce et l’investissement (GEPCI).

La société spécialisée dans la communication et le marketing digital, basée à Lomé et à Casablanca, est également active au Burkina Faso.

Ça c’est la partie visible de l’iceberg. En réalité, le GPCI, est un dispositif important et actif de cette propagande sur les réseaux sociaux.  Il crée et relaye des ONG et sites d’informations à but de désinformation.

“Aujourd’hui, le GPCI est accusé d’être un levier d’influence pro-russe et anti-France, dont les ramifications passent par la création et l’alimentation de multiples sites d’informations, pages et comptes. Le GPCI a trois objectifs : soutenir et développer la réputation des juntes sahéliennes dans la zone, amplifier la diffusion de leurs discours officiels et fragiliser leurs critiques’’, précise un autre rapport, intitulé “GPCI, « L’INFACTION »’’, consulté par 7info.

Le même rapport précise que “le groupe s’appuie sur des structures partenaires factices’’ et “ses contenus sont souvent repris et confirmés par de fausses organisations afin d’acquérir une certaine crédibilité auprès de la population’’

“En exploitant les failles du système médiatique numérique et par la création de faux médias en ligne et de faux profils sur les réseaux sociaux, le GPCI s’assure une couverture médiatique lui offrant l’illusion d’un vaste réseau informationnel. Pour attirer le public ciblé, différents sujets populaires sont utilisés, tels que le scoop diffamatoire et les théories conspirationnistes’’., poursuit-il.

Selon un rapport de l’Institut sud-africain des affaires internationales (SAIIA), publié en 2022, “les contenus en ligne produits par RT et Sputnik (Ndlr : deux médias publics russes) et publiés en français sont devenus populaires en Afrique francophone’’

“Le Kremlin s’est également bien adapté à l’ère numérique. Les médias sociaux sont un autre moteur des récits russes en Afrique. Les campagnes menées dans plusieurs pays africains présentent deux grandes similitudes : le contenu est hyper-partisan et soutient souvent le rôle de la Russie sur le continent, tout en dénonçant la présence d’autres acteurs étrangers’’, explique le rapport de la SAIIA.

Le modèle a été éprouvé en Libye. L’observatoire d’Internet de l’université américaine de Stanford, en collaboration avec Facebook et Twitter, a identifié des dizaines de comptes ayant un grand nombre d’abonnés sur les réseaux sociaux et se présentant comme résidents libyens bien que vivant à l’extérieur du pays.

Le “soft power’’ de Poutine et de la Russie en Afrique n’est pas seulement numérique, il est aussi religieux.

“Désireux de prendre l’ascendant dans le monde orthodoxe, le Patriarcat de Moscou ne cache pas ses ambitions politiques en Afrique, cette politique d’influence sur le continent africain accompagne et complète celle du régime de Vladimir Poutine. Recrutement de prêtres au passé trouble, financements opaques…sur le terrain, les méthodes de l’Eglise orthodoxe de Russie inquiètent…’’, écrivait le journal catholique La Croix, dans son édition du mercredi 20 mai 2024.

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Symbole de cette politique d’ambitieuse d’influence sur le continent ; L’Eglise orthodoxe de Bangui, en Centrafrique.

Fondée en 2013 dans un quartier périphérique de la capitale Bangui, L’église Saint-André, toute première paroisse orthodoxe de Centrafrique, connaît un élan de vitalité depuis le déploiement de la société militaire privée Wagner dans ce pays, où les habitants, majoritairement, pratiquaient jusque-là, le catholicisme, différentes formes de protestantisme, l’islam et l’animisme.

Cette communauté religieuse qui revendique plus de 700 fidèles, a prêté en 2022 allégeance au patriarcat de Moscou.

Pour bien faire les choses, l’évêque Konstantin de Zaraisk a été confirmé en mars 2024 en tant qu’exarque patriarcal d’Afrique, c’est-à-dire chef du district ecclésiastique africain de l’Église orthodoxe russe, selon une information publiée sur le site officiel de l’Exarchat africain.

En visite en Tanzanie quelques jours après sa nomination, il a administré le sacrement du baptême pour la première fois sur le sol africain et converti les tanzaniens qui le souhaitaient.

L’Exarchat patriarcal d’Afrique a vu le jour en 2021. Aujourd’hui, il a ouvert plus de 200 paroisses dans 25 pays africains.

Des ustensiles d’église, des vêtements liturgiques et des articles pour l’administration des sacrements ont été donnés aux clercs locaux qui ont organisé des activités éducatives, lancé de nombreux projets humanitaires et éducatifs et traduit des livres dans les langues locales.

Les jeunes Africains peuvent étudier la théologie en Russie. Fin décembre 2023, neuf étudiants de la RDC, du Malawi, du Kenya et du Bénin sont arrivés à l’Académie de théologie de Moscou. En 2022, 157 citoyens de 19 pays africains sont entrés à l’Académie théologique de Moscou. Les étudiants ont la possibilité de participer aux offices divins dans les églises de Moscou.

S’il est hasardeux de soutenir, sans preuves formelles, que le Patriarcat de Moscou, agit sur instructions directes de Poutine, force est de reconnaitre cependant que cette offensive géopolitique vient en appui à celle de son régime.  Du pain béni pour le Kremlin.

Serge Alain Koffi

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