« Ils m’ont tué, moi et toute ma famille, sur une colline du Rwanda, en avril 1994. J’avais 15 ans, je ne suis pas mort ». Ces mots, lourds de douleur, résonnent comme un écho lancinant dans le silence du souvenir. 31 ans après le génocide rwandais. Jean Hatzfeld retrace ce moment douloureux dans ses œuvres littéraires « Dans le nu de la vie récit de marias rwandais » et « La stratégie des antilopes ».
Révérien Ruruganwa, rescapé du génocide, est le seul survivant d’une famille de 44 personnes.
Sur cette colline, il a vu ses proches mourir, un par un, tous fauchés par la violence d’une haine sans nom.
Il a survécu, mais il porte en lui la mémoire de chaque corps tombé, de chaque cri étouffé, de chaque vie écrasée par la machette des voisins, des amis, des frères et sœurs.
Ces bourreaux ne sont pas des inconnus, ce sont ses voisins, ses amis…la réalité est difficile à assimiler, ce sont ceux qui auraient dû l’aimer, qui l’ont tué, lui et toute sa famille.
C’est ça, le génocide des Tutsis. Le dernier du 20ème siècle.
Une horreur inédite, inouïe, non seulement par la cruauté des actes mais par leur proximité. Les tueurs connaissaient leurs victimes.
On ne tue pas au hasard. On tue méthodiquement. Maison après maison. Enfants après enfants. Mères. Bébés. Grands-parents, les Tutsis, appelés les « cafards » par les génocidaires doivent être éliminés.
Les amis d’hier, les parents, oncles, tantes, amis, frères et voisins se transforment en tueurs.
Ils avaient partagé des repas, des rires, des peines. Puis, un jour, tout a basculé. Du jour au lendemain, ils deviennent des instruments de destruction.
« Vous allez mettre le feu aux Tutsis et ils vont regretter d’être nés… Faites du bon travail ! », « Les fosses sont encore à moitié vides, vous devez les remplir ! » diffusait une radio du pays.
Ces mots de haine ont incendié un pays. Un million de morts en trois mois. Une nation qui s’est effondrée sous les coups de machettes, les flammes, la violence.
Le 6 avril 1994, l’avion du président Habyarimana est abattu. Et tout bascule. Le lendemain, les massacres commencent. Chaque jour, 10 000 personnes sont tuées, font savoir certaines informations.
Dans la commune de Nyamata par exemple, entre le lundi 11 avril à 11 heures et le samedi 14 mai 1994 à 14H euros, environ 50 000 Tutsis sur une population d’environ 59 000 tutsis ont été massacrés à la machette, tous les jours de la semaine de 9 h30 à 16 heures par des miliciens et voisins Hutus,
31 ans plus tard, les survivants portent encore ce fardeau. La question brûle en eux : comment pardonner ?
Comment se relever, après ça ? Après avoir vu sa famille, ses proches, des innocents, être fauchés en quelques secondes, sans raison, dans une violence inouïe ?
Comment se reconstruire quand l’âme a été frappée de plein fouet par la barbarie ?
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Ceux qui ont survécu n’ont d’autre choix que de faire face à l’indicible. Ils portent leur douleur comme un fardeau lourd, mais ils avancent malgré tout.
La souffrance, comme une cicatrice, est là, chaque jour. Mais certains choisissent de pardonner.
Pas pour oublier. Pas pour effacer ce qu’ils ont vécu. Mais pour survivre. Parce qu’en ne pardonnant pas, c’est soi-même qu’on tue à petit feu.
« Si je ne leur pardonne pas, c’est moi seule qui souffre. Et je ne dors pas », dit l’un d’eux.
L’autre témoigne : « Je suis prête à pardonner. Ce n’est pas pour nier le mal qu’ils ont fait, ni par trahison, mais pour ne pas me perdre, pour ne pas vivre toute ma vie à me demander pourquoi ils ont voulu me tuer ».
Le pardon, ce n’est pas une négociation avec l’oubli. C’est une décision radicale, une volonté de se libérer. Le pardon, c’est refuser que la haine détruise le futur.
C’est un acte de résilience, un cri de vie face à la mort qui a frôlé leur existence.
Le Rwanda, aujourd’hui, est un symbole. Un pays qui a dit « non » à la haine. Un peuple qui, malgré tout, a décidé de se relever.
Dans le pays des mille collines, il n’y a plus désormais de Hutus ou de Tutsis, mais des Rwandais.
Ce n’est pas un miracle. C’est le fruit d’un travail acharné, d’un courage de chaque instant.
La réconciliation, là-bas, est fragile, car elle se construit dans le respect de la mémoire, dans l’hommage aux morts, et dans l’espoir que ce qu’il reste d’humanité ne soit pas englouti par les ténèbres.
Un peuple qui a tout perdu, qui a tout reconstruit. Et chaque jour, il choisit de continuer à avancer ensemble, malgré la douleur.
Le Rwanda l’a fait. C’est une preuve que cela est possible pour tout le monde.
Et la question, toujours présente : comment empêcher la haine de se transformer à nouveau en une arme de destruction ?
Comment éviter que des voisins ne se transforment à nouveau en bourreaux ? Le Rwanda nous rappelle qu’il ne faut pas oublier, mais mémoriser.
Les rescapés sont des exemples de résilience, de force et de courage… car comme beaucoup le pensent, « à quoi bon chercher des circonstances atténuantes à des gens qui ont coupé à la machette tous les jours, même le dimanche ?
Que peut-on atténuer ? Le nombre de victimes ? Les rires des tueurs ? »
Pourtant, il faut essayer. La paix ne se construit pas dans l’oubli, mais dans la douleur partagée, dans l’humilité, et dans le courage de dire « plus jamais ça ».
Eirena Etté