Vendredi 1er mai.
Cette vilaine toux ne me lâche pas depuis quatre jours. Hier soir, tout courbaturé, j’ai pris ma température : mon thermomètre indique 37-8. Pas vraiment une fièvre de cheval mais pas vraiment rien non plus. Un entre-deux mal défini. Ma décision est prise, je me ferai tester pour en avoir le cœur net. Certes, j’ai pris toutes les précautions d’usage : je ne sors pas de chez moi, sauf pour faire mes courses ; je le fais masqué et ganté mais j’ai peut-être mal utilisé ce matériel. Il y a mille façons pour le virus d’atteindre son objectif. Et coronavirus ou pas, je veux traiter ce qui me met dans cet état désagréable.
10H09
J’applique la procédure. J’appelle le 125, l’un des numéros gratuits mis à la disposition du grand public par le ministère de la Santé et de l’hygiène publique. Au bout de trois sonneries, une voix avenante décroche et me demande l’objet de mon appel.
– Je voudrais me faire tester car je tousse depuis quatre jours et je ne me sens pas très bien.
– Quel est votre nom et la localisation de votre domicile?
– Je m’appelle Philippe Di Nacera. J’habite à la Palmeraie.
– Avez-vous de la température?
– Pas vraiment, je me sens juste courbaturé. Et il y a cette toux persistante.
– Bien, en effet, ce serait prudent de vous tester. Je vous recommande d’appeler le 143. Ils décideront de vous orienter soit sur un centre de dépistage soit ils se déplaceront chez vous.
– Merci Madame.
– Je vous en prie. Et surtout n’oubliez pas les mesures barrière!
– Non non je n’oublie pas.
10h17
Appel au 143. Une dame fort aimable décroche après quelques sonneries. Le début de notre conversation ressemble en tous points à la précédente. Je décline mon identité et les raisons de mon appel.
– Vous allez vous rendre au centre de prélèvement de Cocody. Il se situe au carrefour Saint-Jean, juste en face de la Cité Rouge.
– Je me présente directement, comme cela?
– Normalement, il faut une prescription médicale mais allez-y, vous leur expliquez, comme à moi, ce que vous avez, ils vous prendront.
– Merci madame.
– Je vous en prie. Et n’oubliez pas les mesure barrière!
– Non non je n’oublie pas.
10h55
Muni de mon masque de protection et de mes gants en latex, j’ai un peu tourné dans le quartier avant de trouver l’endroit. À l’arrivé, je suis doublement surpris. D’abord par le manque d’affluence ; ensuite, par la forte impression que me procure le bâtiment, imposant, blanc immaculé, qui s’offre à ma vue. S’il est temporaire, il n’en n’est pas moins impressionnant. Je me dis que les pouvoirs publics n’ont vraiment pas lésiné. Je comprends vite le manque d’affluence. Le bâtiment est fermé. Je tente de pousser la porte d’entrée. Fermée. J’essaye de tirer la porte de sortie. Fermée. « Boss, c’est le 1er mai! », m’interpelle une voix derrière moi. Je m’entends répondre à celui qui semble être le gardien, incrédule : « Ah ok… Donc le virus aussi a droit à son jour férié… ».
10h59
Je rappelle le 143. Cette fois-ci, c’est un homme, tout aussi aimable, qui répond.
– Bonjour Monsieur, j’ai appelé il y a trois quart d’heure environ, la dame que j’ai eue m’a envoyé au centre de dépistage de Cococdy, mais savez-vous qu’il est fermé aujourd’hui?
– Pardon?
– Oui, je suis devant le centre de dépistage de Cocody, il est fermé.
– Ah mais c’est très grave, ça… C’est pas bien du tout… Non non, nous ne savions pas! Il faut que nous en infirmions tout de suite le ministère de la Santé (Ah bon? Ça n’est pas eux le Ministère de la Santé?).
– D’accord mais que dois-je faire?
– Il vous faudrait attendre lundi.
– Mais c’est très loin lundi. N’y a-t-il pas moyen qu’une équipe se déplace chez moi pour me tester?
– Oui ça devrait être possible. Gardez la ligne, je demande à mon supérieur hiérarchique.
Au bout de deux minutes d’attente, l’aimable monsieur me reprend : « Oui, cela sera possible monsieur. Vous allez recevoir un appel dans peu de temps ».
Je reprends le chemin de la maison.
11h28
Je viens de rentrer, mon téléphone sonne. Un numéro fixe. Au bout du fil, une voix masculine, courtoise et assurée :
– Bonjour Monsieur, vous êtes bien Monsieur Philippe Di Nacera.
– Tout à fait. Je vous remercie de m’appeler.
L’homme, manifestement médecin, me pose une série de questions précises auxquelles je réponds de mon mieux. Au passage, il précise : « Au centre de Cocody, ils ont des aménagements à faire… Ils ont profité du 1er mai… ». Je sens bien qu’il cherche une justification. Elle est faible. Il n’y avait personne, là-bas, qui réaménageait quoi que ce soit. Et c’est bien quelqu’un de son service, étonnamment non informé des fameux « aménagements », qui m’y a envoyé. Il conclut.
– Bon, votre cas ne présente pas d’inquiétude particulière. Mais nous allons vous envoyez une équipe volante. Nous allons vous rappeler. Restez à l‘écoute.
18h30
Au moment où j’écris ces lignes, je suis toujours à l’écoute… Mon téléphone n’a pas sonné. Peut-être le médecin a -t- il estimé que mon affaire n’a pas un caractère d’urgence. Je comprendrais. Peut-être que les équipes volantes se sont mises au diapason du 1er mai. Je ne sais pas. Je n’ai pas rappelé le 143. Je finirai par faire mon test. S’il est positif… ils vont m’entendre. Je ne pense pas qu’attendre soit la meilleure thérapeutique.
La politique du gouvernement, ai-je cru comprendre, consiste à multiplier les tests de dépistage pour se projeter le plus rapidement possible dans la reprise de l’activité. Mais quelle idée ai-je eu de me faire tester un 1er mai? Comment n’ai-je pas pensé que le jour de la fête du travail, tout s’arrête? Même la pandémie! Même la mise en œuvre de la politique de retour à la normale du gouvernement? Espérons que le bel « éléphant blanc » que j’ai vu aujourd’hui reprenne vie rapidement. Je me rends à l’évidence : il faut rendre grâce aux structures d’accueil (numéros verts, personnel à l’écoute) mises en place par l’Etat. On répond aux numéros verts, avec courtoisie et compétence. Mais l’objectif de ma journée n’était pas de les tester. Qu’est-ce qui n’a pas marché?
Ce soir je suis fatigué.
Philippe Di Nacera
7info