Au moins 132 millions, soit plus d’un milliard de FCFA ont été dépensés par l’Etat de Côte d’Ivoire pour rémunérer les 66 sénateurs élus depuis mars dernier, qui toucheraient chacun, selon les informations reçues, plus de 2 millions 200 mille FCFA par mois. Ils ne sont pas officiellement en fonction mais bénéficient des émoluments et avantages dus à leurs rangs. Retour sur une institution qui continue de faire couler beaucoup d’encre car taxée de budgétivore par certains observateurs de la vie politique ivoirienne.
C’est une disposition prévue par l’article 87 de la Constitution de la troisième République. La Côte d’Ivoire doit se doter en plus de l’Assemblée Nationale, d’un Sénat, pour un parlement plus dynamique et démocratique. Des élections sénatoriales ont donc été organisées depuis le 24 mars dernier dans le pays, permettant l’élection de 66 sénateurs, soit deux tiers de l’institution qui doit normalement compter 99 membres. Selon Eddie Guipié, enseignant-chercheur à l’Université Péléforo Gon de Korhogo, tout est question de volonté politique.
« Le sénat est une institution prévue par la constitution ivoirienne de la troisième République qui n’en manifeste aucun obstacle. Le seul obstacle qu’il pouvait avoir, c’est celui du financement pour la rémunération des sénateurs, qui a été levé. Rien ne doit donc empêcher le fonctionnement normal du Sénat. Il faut quand même noter que le Président de la République a l’obligation de nommer 33 sénateurs. Et cela n’a pas encore été fait. C’est une obligation institutionnelle qui lui est donc imposée. Il doit le faire pour que le Sénat fonctionne normalement » propose-t-il avant de se prononcer sur la position du Chef de l’Etat, concernant cette institution.
« Mais il faut aussi remarquer que le même Président a écrit par courrier au Président du Sénat pour lui dire que, compte tenu des obstacles sans plus de précision, qui empêchent le fonctionnement du Sénat, c’est l’Assemblée nationale qui va assurer la charge des deux chambres. C’est donc un serpent qui se mort la queue puisqu’il n’y pas d’obstacles qui empêchent son fonctionnement. Il n’y rien qui l’empêche de prendre une ordonnance et nommer les 33 sénateurs restant. La question que l’on pourrait se poser est celle de savoir si le Président veut vraiment que le Sénat fonctionne »interroge le politologue.
Le tiers restant, doit donc être nommé conformément aux dispositions prévues par la constitution ivoirienne. Mais 8 mois après, c’est le statu-quo. A quoi s’occupent donc les sénateurs ivoiriens en attendant le fonctionnement effectif de leur institution ? Pourquoi le tiers manquant n’a toujours pas été désigné ? Des questions qui taraudent l’esprit des ivoiriens, au moment où le pays sort de nouvelles élections, notamment les municipales et régionales, tenues le 13 octobre dernier. Tout comme le précédant intervenant, le juriste écrivain Geoffroy Kouao Julien parle de la nécessité de l’Etat ivoirien de faire fonctionner cette institution, dont elle a voulu elle-même, se doter.
« Le Sénat aujourd’hui est une exigence institutionnelle donc le Président de la République a l’obligation d’appliquer les textes de son fonctionnement. Il y’a déjà des sénateurs qui ont été élus, il ne reste que 33 autres qui doivent être nommés par le Président de la République lui-même. Il devrait en toute exigence faire en sorte que le texte institutionnel soit respecté. Dans tous les cas de figure, la norme mise en place actuellement dans l’effectif du Sénat montre que c’est une institution pertinente dans le fonctionnement des institutions ivoiriennes » indique le politologue.
Il n’est pas encore fonctionnel, mais son budget est connu, 3.375 milliards FCFA depuis le 24 février. Il a été présenté à l’Assemblée Nationale par le secrétaire d’Etat au budget Moussa Sanogo, puis adopté par les députés. Et selon le ministre Mamadou Touré, alors secrétaire d’Etat en charge de l’Enseignement Technique et de la formation professionnelle, qui a accordé au site en ligne Abidjan.net en mars dernier, « le Sénat ne représente que 0,05% du budget de l’Etat qui s’élève à environ 6500 milliards FCFA ». Mais certains spécialistes, citant toujours en exemple le président sénégalais, qui dit avoir préféré une centrale énergétique à un Sénat, affirment que le budget de cette chambre haute, aurait pu servir à des projets de développement dans des secteurs bien plus importants, que le vote de lois au parlement.
Dans un article du confrère « Eburnie Today », publié le 14 septembre dernier, Abdoulaye Tanoh, sénateur RDR de l’Indénié-Djuablin a affirmé qu’il reçoit ses émoluments et que les sénateurs s’occupent à doter leur institution des textes requis pour son fonctionnement. Cette information a aussi été confirmée sous anonymat par un ex-député. Selon ce dernier, le salaire d’un sénateur s’élèverait à plus de 2 millions 200 mille FCFA, sans compter les avantages dus à son rang. Ce qui revient à plus de 132 millions FCFA, dépensé chaque mois.
La gestion du pouvoir législatif, a été au cœur d’un bras de fer entre le Président de la République Alassane Ouattara, et le président du Sénat, Ahoussou Jeannot. Le Chef d’Etat ivoirien avait exprimé sa volonté de transférer les pouvoirs de la haute chambre du parlement à l’Assemblée Nationale, en attendant sa pleine fonction. Une situation qui amené le président de l’institution à introduire une requête auprès de la Cour Constitutionnel, afin de contester la décision. Démarche qui a tourné à l’avantage de ce dernier, déboutant ainsi le Chef de l’Etat ivoirien. Le Sénat conserve donc ses pouvoirs sans véritablement les exercer.
Éric Coulibaly
Poleafrique.info