Il est parti à 81 ans, Ousmane Sow. Il avait les mêmes initiales que notre légendaire Ousmane Sembène. Nous devons lui dire adieu car il fut un grand à sa manière. Non pas parce qu’il fut membre de l’Académie des beaux-arts de France. C’est une reconnaissance digne de respect. Non pas simplement en raison de la taille de ses statues. J’ai jadis admiré Mme Tadjo pour ses sculptures en fer parce qu’elle maitrisait ce métal auquel elle donnait forme, mais dans des dimensions ordinaires. Le gigantisme ne suffit pas. L’Amérique en est déjà championne. Ses pères fondateurs taillés dans le roc ne sont pas les miens !
Il parlait aux hommes. Il parlait de l’homme ! Il nous appelait à la grandeur. La taille de ses géants nous invite à rompre avec notre fascination du nanisme, avec notre nano histoire ! Dolmens, menhirs, obélisques, Stonehenge, Ile de Pâques : tous ces mégalithes viennent affirmer une présence humaine et l’ambition de certaines collectivités humaines. D’eux à Ousmane Sow, la cause est toujours la même, monumentale, dès lors qu’il s’agit des hommes et de l’homme, dans la diversité de leur couleur et de leur race, de leur statut et de leur fortune. Il s’agit encore et toujours de la dignité de l’homme et de tous les hommes. Il y en a qui parlent de l’homme et oublie certains hommes ! Quelle curieuse conception de l’universalité !
Après avoir soigné les corps, en tant que kiné, il devait, comme les thérapeutes d’Armah, soigner les esprits, toujours par et pour le mouvement. Ceux qui sont inertes, sont morts, soit au sens réel soit au sens symbolique. La vie est mouvement, l’art est mouvement. Comment Ousmane Sow pense-t-il réaliser cette cause monumentale de l’homme ? En regardant ses œuvres, on peut voir plusieurs modalités.
Il disait que nous n’étions pas sur terre pour nous laisser piétiner. Pour refuser cela, il faut et il suffit de se tenir debout ! Erigées dans leur verticalité, ses statues sont pour nous mettre debout. Ne sommes-nous pas fatigués d’être couchés et de ramper ? Il y a des décennies que S. S. Adotevi a dénoncé le carnaval de la soumission et de la reptation (Négritude et négrologues).
Ces œuvres monumentales qu’il nous laisse en héritage, sont la négation spectaculaire de la faible estime de soi, ce contre quoi le Congolais T. Mukendi nous met en garde. Dès que nous baissons le regard, la défaite est consommée et nous finissons par penser et croire que nous sommes nés pour perdre et accompagner les autres.
Ni effacement ni renoncement ni renonciation mais lutte pour être et exister. Ces personnages sont des lutteurs dans une cause monumentale et séculaire. Nous ne sommes pas les hommes et les femmes du caoutchouc et du bois, du diamant et du fer, du café et du cacao (B. Dadié), ceux qu’on peut fouetter et doit payer au rabais ! La statue de Vercingétorix le Gaulois ne le présente pas aux Français comme un homme vaincu par César, mais comme un homme qui part à l’assaut des Romains. A la manière dont on parle d’Alésia, on croirait qu’il s’agit d’une victoire. En réalité, s’inscrit là un refus de la défaite.
Les lutteurs d’Ousmane Sow sont costauds mais sans fétiches, à la différence des autres. Ces derniers, pourtant méritent aussi notre respect car, dans leurs arènes de sable, ils nous appellent aussi à la grande victoire sur nous-mêmes.
Ces géants ont tous les yeux ouverts et ceux-ci nous montrent qu’ils sont sincères et semblent même parfois naïfs, loin des calculs et hypocrisies qui nous ont toujours desservis. Nos yeux doivent toujours être ouverts, nous sommes fatigués d’être dupés.
F. Fillon, exploitant un filon ancien, dit, en Sarthe, sa région d’origine, « La France ne doit pas se sentir coupable d’avoir partagé sa culture ». En voilà un qui prend déjà RDV avec la petitesse avant de se hisser sur l’Himalaya. Juché là-haut, comme l’écureuil dont parle G. Lukacs, il se croira plus grand que l’éléphant de la plaine. Il oubliera les éléphants d’Hannibal ! La gêne se lit et s’entend dans cette formulation car on n’a jamais vu quelqu’un être coupable d’avoir fait du bien. Les deux négations « ne doit pas » et celle contenue dans « coupable » donnent un verdict positif. Qui veut de sa repentance ? On parle de justice et elle adviendra un jour, comme sont venus au monde les géants d’Ousmane Sow.
Ces géants ont pour eux la force qui transparait dans leur taille, leurs poitrails, leurs membres et leurs muscles. Mais ils ne sont pas menaçants. Ce sont des guerriers mais ils n’agressent personne. Ils me font penser à la guêpe dont parle le chanteur Tohourou Lago Liadé qui vient de nous quitter. « Kôpou, ô tarizè ! », ô guêpe, toi qui ne cherche noise à personne ! Elle ne provoque personne mais ne se laisse pas faire et elle sait se défendre. Force de l’homme, des hommes !
Pourquoi est-ce que je préfère ces statues de Sow à celle de la Renaissance bâtie à Dakar par A. Wade et les Coréens ? Le défi est authentique et non factice, leur matière parait moins menaçante que le métal de l’autre. Elle est plus charnelle et plus humaine. Ces œuvres nous invitent à la grandeur mais ne constituent cependant pas une intimation idéologique ou une imposition autoritaire. Depuis que les élites africaines ne parlent plus de renaissance, qu’est-ce qu’elle fait là ?
Vous souvenez-vous du poème de Bernard B. Dadié qui en a vu des vertes et des pas mures « Il n’y a personne ? » Avec la taille de ces statues, personne ne peut dire qu’il ne les voit pas et qu’il n’y a personne. Nul ne peut dire que nous n’existons pas, et qu’il ne nous voit pas. Nous sommes là ! Nous sommes là ! Nous sommes là ! Et toi Ousmane Sow, tu seras là avec nous.