D’aucuns lui collent un qualificatif de traitre, quand d’autres pensent par contre qu’il a au contraire été juste dans ses déclarations ou qu’il a juste dit sa part de vérité sur ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire pendant la crise postélectorale de 2010-2011. Le témoignage du Général Philippe Mangou à la Cour Pénale Internationale (CPI) dans le cadre du procès pour crime contre l’humanité de l’ex-dirigeant ivoirien, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, est diversement apprécié dans son pays.
Chef d’état-major des armées de Côte d’Ivoire au moment de la crise postélectorale de décembre 2010 à Avril 2011, le témoignage du général de corps d’armée, Philippe Mangou était très attendu. Il est également l’objet de multiples et divergents regards depuis la fin de sa comparution ce jeudi 5 octobre.
« Le général Mangou était un acteur clé de la crise donc sa déposition devrait éclairée la Cour. Nous avons vu un général tout confiant et surtout pour nous, il s’est étalé souvent dans ses réponses. Cela à ennuyé un peu la Cour. En ce qui concerne notre appréciation il faut dire que nous sommes restés sur notre faim. Aux juges d’apprécier et décider en toute souveraineté », commente Dr Adjoumani Kouamé le président de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (LIDHO) joint par Pôleafrique.info.
« Je constate que si les généraux qui avaient devancé Mangou avaient eu le courage qu’il a eu, il y a longtemps que le procès aurait pris de grandes longueurs d’avance. Mangou a également démontré à tous, le rôle capital qu’ont joué Guillaume Soro et Soul to Soul dans la prise de pouvoir du Président Ouattara. Il a enfin démontré que le plus souvent, pour protéger leurs postes et avantages, certains partisans du Président sont obligés de lui mentir. C’est ce qu’il a fait avec Gbagbo pendant la crise postélectorale. Cela devrait faire réfléchir le Président Ouattara quant aux propos élogieux que lui tiennent ses lieutenants », réagit pour sa part Mamadou Traoré , Conseiller régional RDR dans la Bagoué (Boundiali au nord de la Côte d’Ivoire).
L’ex-chef d’état-major des armées ivoiriennes a débuté son interrogatoire le lundi 25 septembre pour ne prendre fin que ce jeudi 5 octobre. Durant ces huit jours, Philippe Mangou a fait plusieurs révélations. « Le président Gbagbo n’a pas gagné les élections… Nous avons été induits en erreur par l’institution en laquelle nous croyions… J’ai dit au président Gbagbo que je ne voulais plus combattre… L’attaque de ma résidence est venue du camp Gbagbo… Nos forces n’ont pas tiré sur les femmes à Abobo, Blé Goudé a fait beaucoup pour la paix… Les forces impartiales ont tiré sur des jeunes ivoiriens… », sont entre autres les propos tenus par le Général des corps d’armée. Autant de propos qui laissent perplexe sur son témoignage.
Philippe Mangou témoin à charge ou à décharge ? « Je pense qu’il a voulu être un équilibriste. Etant un acteur clé, il faisait beaucoup attention de telle sorte que sa déposition a plutôt servi la défense », estime le président de la LIDHO. Mamadou Traoré est lui affirmatif. « Il a été un témoin à charge bien que vers la fin de son intervention, il a rendu hommage à Gbagbo », dit-il.
Dr Eddie Guipié est enseignant-chercheur en Sciences politiques à
l’université Péléforo Gon de Korhogo au nord de la Côte d’Ivoire. Il est de l’avis de l’élu de la Bagoué. « Le général Mangou est un témoin à charge. Puisque lorsqu’il affirme que le président Laurent Gbagbo a perdu les élections, il est un témoin à charge. Parce que c’est cela le fait générateur. Dans l’exposé des motifs de l’accusation, c’est justement pour garder un pouvoir qu’il a perdu par le biais électoral, qu’il a commis des tueries pour se maintenir au pouvoir. A partir du moment où le général Mangou affirme que le président Gbagbo a perdu les élections, il est dans le cheminement du plan commun. Il est confirmé comme un témoin à charge », analyse Dr Eddie Guipié.
Toutefois, l’universitaire s’étonne que l’ex-CEMA ne soit pas aussi dans le box des accusés. Selon lui, les chefs d’Etat qui ont été inculpés devant des cours ou tribunaux pénaux internationaux pour des faits concernant leur pays d’origine, l’ont été systématiquement avec leur chef d’état-major. Vous avez le président de l’ex-Yougoslavie qui l’a été avec son chef de l’armée. « Tout cela pour faire comprendre qu’il est quand même difficile à comprendre qu’on puisse accuser un chef d’Etat de faits aussi graves sans pour autant que dans son aspect opérationnel, son chef militaire en soit exclu », ajoute-il.
Mangou, un témoignage qui ne change rien ?
Au Front populaire ivoirien (FPI), l’on estime que le passage à la barre de l’ex-chef de l’armée ivoirienne ne changera pas grand-chose à ce procès. « Dans certains aspects, la déposition de Mangou a quelque peu démonté la thèse de l’accusation. Il faut savoir qu’il y a deux, sinon trois éléments importants dans l’accusation pour incriminer le président Gbagbo. Ce sont qu’on a tiré sur des femmes qui marchaient pacifiquement, qu’on a tiré des obus sur un marché, et enfin qu’on a tiré sur une marche à la RTI. Il a été prouvé que ce n’est pas une marche pacifique puisque les gens qui marchaient étaient armés. Si les gens sont agressés, ils sont obligés de se défendre. Je n’ai pas suivi toute la déposition mais ce sont quelques aspects que je fais ressortir. Ensuite la marche d’Abobo, le témoin dit que les militaires n’ont pas tiré sur les femmes. La question est de savoir qui a tiré sur les femmes. Si ce ne sont pas les FDS qui ont tiré, alors qui a tiré sur ces femmes ?
Il dit par ailleurs que ses hommes n’ont pas tiré sur le marché à Abobo parce qu’aucun chef d’état-major, aucun militaire qui a fait une bonne formation ne peut donner l’ordre de tirer sur un marché. C’est aberrant », commente Pr Abouo N’dori Raymond, vice-président du FPI.« Il n’y a pas un moment où le général Mangou a affirmé qu’on lui aurait donné des ordres, qu’ils soient implicites ou explicites pour tuer, neutraliser des civils afin qu’un système ou un gouvernement puisse se maintenir au pouvoir », commente Dr Eddie Guipié.
L’ex-dirigeant ivoirien Laurent Gbagbo et son ministre Charles Blé Goudé comparaissent devant la CPI pour des crimes commis durant la crise postélectorale qu’a connue la Côte d’Ivoire de 2010 à 2011. Les violences et affrontements armés ont fait officiellement plus de 3000 morts.
Richard Yasseu
Source : rédaction Pôleafrique.info