Qu’est-ce qu’un district autonome, comment fonctionnera-t-il, quel rôle pour ses administrateurs et quel avenir pour les entités territoriales déjà existantes ? Dans cet entretien exclusif, Vincent Toh Bi l’ancien préfet d’Abidjan revient sur le sujet. Il n’y aura pas de conflits de compétences entre les ministres-gouverneurs et les maires ainsi que les Préfets et présidents de conseil régionaux, dit-il.
Depuis quelques semaines, la Côte d’Ivoire a admis dans son découpage administratif de nouvelles entités que sont les districts autonomes. Pouvez-vous nous en donner la définition ?
Il y a la loi de 2014 votée par le parlement qui donne la définition. Mais pour faire plus simple, un district autonome est une entité territoriale qui gère des aspects de la décentralisation et des aspects de la déconcentration c’est-à-dire du fonctionnement normal de l’administration.
Comment est née l’idée de la création des districts en Côte d’Ivoire ?
Pour répondre à cette question, il faut comprendre l’évolution de l’administration territoriale ivoirienne. Chaque pays innove et adapte son organisation en fonction des enjeux du moment. Sous Houphouët-Boigny, on a eu des territoires, des préfectures et de très grandes sous-préfectures qui prenaient de très grandes portions de territoire. Mais le président Houphouët-Boigny a enclenché un processus de développement régional, avec des autorités telles que l’ARSO (l’Aménagement de la région du sud-ouest) qui sont des autorités qui permettaient de mettre les moyens massivement pour le développement d’une zone particulière. En 1980, Houphouët-Boigny commence le processus de l’élection des maires pour la première fois en Côte d’Ivoire parce que cette fonction était assurée par les préfets. Déjà à cette époque, il y a eu une poussée de l’administration territoriale.
On passe à Henri Konan Bédié qui renforce la décentralisation, augmente le nombre de communes, et fait une division territoriale d’environ 16 régions qui ont sensiblement le même découpage que les 14 districts que nous avons aujourd’hui en dehors de Yamoussoukro et Abidjan. Chemin faisant, le président Henri Konan Bédié et son gouvernement se rendent compte qu’ils doivent aussi apporter des efforts particuliers sur des régions. Pour se faire, il nomme un haut-commissaire aux régions des savanes pour des projets particuliers pour pouvoir renforcer le nord du pays. Il nomme également un haut-commissaire à la région semi-montagneuse de l’ouest, qui avait un rang de ministre et une délégation de pouvoir afin de coordonner le développement et équiper le grand ouest de la Côte d’Ivoire. Voici les inclinaisons sous Bédié.
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Sous Laurent Gbagbo, souvenez-vous de ses mots « donnez-moi le pouvoir pour que je vous le rende”. C’était dans l’esprit de la décentralisation. C’est-à-dire permettre la participation de la population pour qu’il définisse leur priorité dans le développement local. Il est aussi celui qui a commencé l’initiative des conseils départementaux et sa mise en place. Il a créé 1297 communes rurales qui n’ont pas fonctionné pour certaines raisons. Au niveau territorial, il y a eu beaucoup de sous-préfectures qui sont nées sous le président Laurent Gbagbo.
Passons maintenant au président Alassane Ouattara qui poursuit les œuvres déjà réalisées avant lui. Mais il porte ces œuvres à un autre niveau en termes de maillage du territoire. Avec lui, on arrive à plus de 500 sous-préfectures, ce qui est du jamais vu en dans l’histoire de la Côte d’Ivoire pour avoir une présence de l’autorité de l’État partout. On a 108 départements, plus de 200 communes, 31 régions et on avait jusqu’à une semaine deux districts autonomes. Donc on a eu la carte territoriale redessinée et les districts autonomes connaissent une réalisation aujourd’hui. Mais c’était un projet qui a pris la forme de loi en 2014. Le président Ouattara a donné instruction au ministre de la Sécurité à l’époque Hamed Bakayoko d’aller au parlement défendre cette loi. Alors il y a eu quatre lois qui ont redéfini le découpage territorial. J’ai eu le privilège d’accompagner le Premier ministre Hamed Bakayoko à l’époque quand il était ministre de l’Intérieur. J’étais son directeur de cabinet et nous sommes allés présenter cette loi au parlement.
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Donc sous le président Ouattara, il y a eu ces districts-là, il y a eu l’idée de la redéfinition des districts et l’agrégation de grand ensemble au niveau du développement territorial. Donc le décret qui a été signé il y a quelques semaines et les nominations ne sont que la suite logique de l’application de la loi de 2014. Voici un peu l’évolution de toutes ses entités régionales.
À la tête de ses entités administratives, il vient d’être nommé des ministres-gouverneurs. Quel pourrait être leur rôle ?
Le rôle du ministre-gouverneur est un rôle de coordination générale de l’ensemble des activités sur ses entités comme cela a été défini par le conseil des ministres, des entités suprarégionales c’est-à-dire au-delà de la région. Parce que jusque-là, l’entité territoriale la plus grande, c’était la région. Maintenant, on part au-delà de la région pour arriver au niveau des districts qui sont plus vastes, plus grands, avec une certaine homogénéité culturelle, mais également c’est un niveau de développement. Donc les ministres-gouverneurs auront ce rôle de coordination comme le maire coordonne au niveau de la mairie, le président du conseil régional coordonne, le préfet également coordonne toutes les attributions qui lui sont dévolues. Donc c’est un rôle de coordination. Peut-être c’est l’appellation ministre qui change à cause de certaines questions de préséance, mais également des attributions, et de l’importance des activités que ses ministres-gouverneurs auront à mener. C’est peut-être pour cette raison qu’on passe à ce niveau.
Avant la naissance des districts autonomes, nous avons les mairies, les départements, les préfets, et les conseils régionaux, et maintenant les ministres-gouverneurs. Quel est l’avenir des préfets, des maires et autres aujourd’hui ?
Je ne suis pas dans la décision administrative qui a conduit à la nomination. J’utilise juste ma connaissance de l’administration territoriale pour répondre à votre question. Je crois qu’il n’y aura pas d’achoppement, le maire gère l’entité municipale, la limite communale et toutes les attributions. Il a été écrit nulle part que le maire va perdre ses capacités. D’ailleurs, quand vous lisez le décret, on cite un peu les éléments qui vont concerner le conseil. Notamment le patrimoine culturel, la planification, l’environnement, l’éducation… Donc ce sont quelques éléments dont la coordination générale va revenir au district. En clair, cela ne change rien aux compétences du maire de même que pour le préfet et c’est idem pour le conseil régional qui continuera de fonctionner comme avant.
Au niveau de la déconcentration, le rôle du conseil régional a été défini en 5 points : la coordination, l’exécution, le contrôle, l’élaboration, l’approbation. Donc le préfet de région gère la région. Au-dessus de la région, il y aura l’entité district ou toute la coordination de ce que les autres régions font. A priori, il n’y aura pas de conflit de compétences. Mais les hommes sont les hommes, les institutions sont les institutions, il faut s’attendre à ce que l’un ou l’autre ne comprennent pas leur mission ou ne comprennent pas la nécessité de la coordination. Cela peut arriver. Mais s’il y a une bonne formation et un bon encadrement, on va éviter ces querelles de clocher qui risquent d’être un handicap dans l’idée pour laquelle les conseils ont été élus.
En clair, personne n’est privé de sa compétence à l’état actuel des choses. Il y a une coordination élevée au niveau d’un territoire plus vaste qu’on appelle le district. Je suppose également que dans le cas des districts, il y aura des allocations de fonds assez importantes pour leur permettre de définir des priorités dans les régions pour permettre le développement.
Est-ce à dire que les maires, les préfets et les présidents de conseil régionaux vont dépendre du ministre-gouverneur ?
Pour ce cas, certainement des ordres protocolaires seront définis. Je ne sais pas exactement comment cela va fonctionner, mais je n’ai pas vu dans le décret des questions qui tendent à limiter le pouvoir de ces personnes. On va voir les ordres de préséance protocolaire qui vont arriver quel est le rôle du préfet. Est-ce que le préfet est sous la dépendance ou sous les instructions du ministre-gouverneur ? Pour moi, ce sont des questions importantes certes, mais moins par rapport à l’impératif du développement qui se résume à de quoi va disposer un district pour fonctionner au-delà du fait qu’il ait un rang protocolaire un peu plus élevé raison pour laquelle il est ministre gouverneur.
Il est courant d’entendre des présidents de Conseils régionaux ou des maires se plaindre du manque de financement pour leurs localités. Aujourd’hui l’on parle de ministre-gouverneur et de district autonome. Comment est-ce que le financement va se faire à ce niveau ?
Vous avez tout à fait raison. Il y a des conseils qui n’arrivent pas à pleinement financer leurs activités. Il y a aussi des entités décentralisées qui consacrent une bonne partie de leurs budgets souvent allant jusqu’à 70% des charges de personnel. En vrai,ce n’est pas facile de mobiliser les fonds et même quand les fonds sont mobilisés, le circuit de la dépense ou la réalité du terrain peut amener à des difficultés d’exécution de certains projets au bénéfice de la population.
L’autre aspect, ce sont les éléments de la décentralisation, parce que nous n’avons pas aujourd’hui une décentralisation complète. Nous sommes dans un processus de centralisation. Il y a entre 11 et 17 aspects particuliers qu’il nous faut exécuter pour arriver à une décentralisation complète. Donc l’état des lieux, je suppose, a été fait pour définir ou nous en sommes pour savoir si nous sommes trop ambitieux dans notre processus de décentralisation, ou alors qu’on doit redéfinir la priorité sur les moyens dont nous disposons. Je pense que tout cela a dû faire objet de réflexion pour arriver à cette décision. Et je pense aussi qu’un gouvernement sérieux comme le nôtre ne peut pas prendre de telles décisions s’il n’a pas prévu tout le mécanisme derrière le financement pour le fonctionnement harmonieux du district autonome.
Pour la Côte d’Ivoire, en l’état actuel, les districts autonomes sont-ils nécessaires ?
En 2011 on avait encore des districts autonomes sur les papiers qui ont pris une autre forme en 2014 avec la loi d’orientation. Attendons donc un peu le fonctionnement pour nous rendre compte de tout ce que cela englobe. Il est trop tôt pour dire que c’est du gaspillage. Il faut avoir fait un bilan, voir les premiers pas qui seront posés. Mais bien sûr, il ne faut pas fermer les yeux sur la réalité politique. Les partis politiques peuvent ne pas être d’accord, ils peuvent regarder cela différemment. Certaines nominations peuvent prêter à confusion pour certaines personnes cela va de soi. Mais ce n’est pas de trop pour l’instant quand on ne sait pas encore quels sont les fonctionnements mis à la disposition et les projets qui vont naître de ses nouvelles constitutions territoriales.